EN PRIVÉ

2024, le retour à la « normalité » ?

La fin d’année 2023 a été marquée par une nette progression de quasiment toutes les classes d’actifs financiers, corrigeant en large partie les baisses de 2022. Ce rebond a été déclenché par des anticipations de baisses conséquentes des taux des banques centrales pour 2024. Il marque ainsi la perception par les acteurs de marchés de la fin de la période de forte inflation et d’un retour vers une certaine « normalité » en termes de tensions sur les prix et de politiques monétaires. En parallèle, les économies confirment leur résilience, notamment visible du côté des marchés du travail, tout en résorbant progressivement certains marqueurs de ce cycle atypique, tels que les excès d’épargne. Si nous partageons les anticipations de la fin de ce cycle atypique, avec la poursuite de la détente de l’inflation et le pivot proche des banques centrales, nous restons cependant prudents quant à la vitesse du retour à la « normale » qui pourrait être progressif.

FOCUS ÉCONOMIQUE
Pivot attendu des banques centrales

Ralentissement en douceur de l’activité économique. Nous tablons sur un ralentissement progressif des économies développées. En effet, la résorption des excès d’épargne et le resserrement passé des conditions monétaires pèsent sur les perspectives. Pour autant, la bonne tenue des marchés du travail ainsi que la détente de l’inflation soutiendraient le pouvoir d’achat des ménages et permettrait d’éviter un ralentissement trop marqué. L’économie américaine continuerait d’afficher une meilleure dynamique que l’Europe, notamment grâce à une politique budgétaire qui resterait plus accommodante en cette année électorale. En parallèle, l’activité en Chine resterait freinée par les difficultés liées à son marché immobilier.

Poursuite de la baisse de l’inflation, avec certains effets persistants. La détente de l’inflation aux États-Unis et en Europe s’est confirmée, à 3,4 % en glissement annuel aux États-Unis, 2,9 % en zone euro en décembre, et 3,9 % au Royaume-Uni en novembre (contre un pic de respectivement 9,1 %, 10,6 % et 11,1 % il y a un peu plus d’un an). La fin des facteurs transitoires liés au Covid et aux tensions sur les prix des matières premières a permis cette détente. Pour autant, l’inflation sous-jacente mettrait encore quelques mois avant d’atteindre la cible de 2 % des principales banques centrales. En effet, les marchés du travail toujours dynamiques à la fois aux États-Unis et en Europe maintiendront une certaine tension sur les prix via les salaires. En Europe plus spécifiquement, la faiblesse des gains de productivité s’ajoute à ces tensions. En outre, des facteurs structurels nouveaux pèsent dorénavant sur les perspectives d’inflation, telle qu’une moindre mondialisation (impliquant une pression sur les prix des biens importés) ou les politiques de lutte contre le réchauffement climatique (pressions haussières sur les coûts de l’énergie).

Des banques centrales prudentes face à un risque asymétrique sur l’inflation. Les banques centrales ont poursuivi le resserrement marqué de leur politique jusqu’à l’été 2023. Si les marchés s’attendent aujourd’hui à une baisse rapide et marquée des taux directeurs, les autorités monétaires pourraient rester plus prudentes dans un contexte de risques toujours plutôt haussiers sur l’inflation. Nous tablons sur un pivot synchrone des principales banques à partir du T2, avec une baisse plutôt progressive des taux.

ACTIONS
Une préférence pour les marchés américains

États-Unis. 2023 avait débuté sur les chapeaux de roues, avec une hausse de près de 15 % sur le seul mois de janvier. Par la suite, les turbulences bancaires du mois de mars et la forte hausse des taux à dix ans et des prix du pétrole entre juin et octobre ont pesé sur les cours. Cependant, le repli de l’inflation et les perspectives de baisses de taux directeurs ont permis aux marchés américains d’afficher une forte hausse sur l’ensemble de l’année (+25 %), tirés par les valeurs liées à l’intelligence artificielle. Après cette très forte performance, la valorisation (à la fois en absolu et en relatif aux obligations) de ces marchés apparaît élevée. Néanmoins, les résultats des entreprises devraient rester soutenus, dans un contexte de ralentissement en douceur de l’activité. Enfin, les indices de momentum et de sentiment sont en territoire positifs, signalant une poursuite de la bonne performance.

Zone euro. La performance des marchés européens en 2023 a été remarquable, augmentant de plus de 20 % malgré l’atonie de la demande interne en zone euro. Comme pour les États-Unis, la baisse des taux à dix a permis de terminer l’année en beauté. Le niveau de valorisation des marchés de la zone euro est resté contenu que ce soit en absolu (prix/bénéfices) ou en relatif au taux – dans les deux cas proches de leurs moyennes de long-terme. Néanmoins, les marges bénéficiaires des entreprises devraient rester modérées, compte tenu de l’atonie de la croissance et des tensions persistantes sur le marché du travail.

Royaume-Uni. Le marché britannique a nettement sous-performé ses pairs (+8 % sur l’année 2023), en partie due à son exposition aux entreprises du secteur énergétique. La valorisation proche de la moyenne de long-terme et la perspective de baisses de taux directeurs devraient néanmoins soutenir le marché britannique.

Marchés émergents. Nous restons sous-pondérés sur les marchés émergents, en grande partie due à notre appréciation défavorable des perspectives économiques en Chine. De fait, le marché actions chinois a connu une performance parmi les plus faibles en 2023 (-12 % sur l’année), compte tenu du rebond post-Covid décevant et de la faiblesse du marché immobilier.

TAUX
Les obligations, notamment d’entreprises, restent attractives

États-Unis. L’année 2023 aura été très volatile sur les taux souverains. Après les turbulences bancaires du début d’année, le taux américain à 10 ans a augmenté à partir de mai, atteignant un plus haut de 10 ans en octobre à 5 %, du fait de craintes de persistance de l’inflation, avant de se détendre nettement : le taux a ainsi chuté à partir d’octobre pour atteindre 3,8 % fin décembre. Le taux s’est depuis légèrement redressé, repassant au-dessus des 4 %. Les marchés anticipent un pivot rapide (avec une probabilité de 60 % dès le mois de mars) et marqué (-150 points de base d’ici la fin d’année) de la Fed. La détente de l’inflation conjuguée à quelques signaux de tassement du marché du travail justifiera en effet une détente des conditions monétaires. La Fed pourrait cependant se montrer plus prudente et ajuster plus graduellement sa politique avec la baisse progressive de l’inflation. Dans tous les cas, le pivot de la Fed continue de rendre attractif le marché obligataire, à la fois du fait des niveaux de rendements offerts ainsi que de l’ajustement toujours favorable attendu en termes de valorisation.

Zone euro. Les taux européens ont connu une volatilité similaire à celle des taux américains en 2023. Après une augmentation plus lente que les taux américains, la plupart des taux de la zone euro ont connu un pic en octobre, atteignant 3,5 % pour l’OAT et 2,9 % pour le bund allemand. Les taux des économies périphériques ont suivi la même tendance avec notamment un spread Italie-Allemagne qui se situait entre 150 et 200pb en 2023. Les taux se sont ensuite détendus, avec la baisse de l’inflation de novembre plus marquée qu’attendue, permettant aux marchés obligataires d’afficher des performances plus élevées que sur le marché américain. Depuis le début de l’année, les taux ont légèrement rebondi mais les marchés continuent d’anticiper une détente monétaire rapide (avec une probabilité de 80 % dès le mois d’avril) et marquée (-150 points de base d’ici la fin d’année) de la BCE. À l’image de la Fed, la BCE pourrait se montrer plus prudente, du fait d’une certaine persistance de l’inflation. Dans tous les cas, le pivot attendu de la BCE rend attractif le marché obligataire.

DEVISES
Neutres sur le dollar à court-terme

EUR/USD. Après avoir atteint 1,04 face au dollar durant l’été, l’euro s’est nettement renforcé depuis octobre – dépassant 1,1 fin décembre – grâce à l’amélioration du sentiment du marché lié au cycle monétaire. Nous considérons qu’à court-terme l’évolution du change continuera de dépendre principalement de la politique monétaire. Or, nous n’anticipons pas de différences marquées de timing pour la première baisse de taux de la part de la Fed et de la BCE. À plus long-terme, le retour des déséquilibres externes (surplus en zone euro, déficit aux États-Unis) devrait soutenir l’euro.

GBP/USD. La devise britannique a connu une évolution similaire à celle de l’euro face au dollar depuis juillet – forte dépréciation de juillet à octobre suivie de gains marqués jusqu’en décembre. Mais le sterling s’était nettement plus apprécié sur la première partie de l’année, en partie reflétant la bonne résilience de l’économie britannique. Nous anticipons des politiques monétaires synchrones alors que les balances externes des deux pays sont toutes deux déficitaires.

USD/JPY. Le yen s’est également apprécié contre le dollar depuis octobre, mais cela faisait suite à une très forte dépréciation jusqu’alors (-15 %). La divergence des cycles de politique monétaire (perspectives de sortie de la déflation et de la politique de contrôle de la courbe des taux au Japon vs baisse de taux de la Fed) devrait soutenir la devise japonaise. Cependant, nous continuons à estimer que le resserrement de la BoJ ne sera que progressif compte tenu de la faiblesse de l’activité au Japon.

EUR/CHF. Le franc suisse s’est nettement apprécié contre l’euro en 2023, gagnant près de 6 % et ce malgré une inflation bien plus faible en Suisse (1,7 % contre 2,9 % en zone euro en décembre). Le CHF a bénéficié de la politique de baisse des réserves de change de la BNS, du statut de valeur refuge de la devise helvétique et d’une balance externe très excédentaire. Ces facteurs de soutien devraient perdurer en 2024 ; nous restons donc sous-pondérés sur la parité EUR/CHF.

ALTERNATIVES
L’attractivité reste limitée face à des taux élevés

Matières premières. Le prix du baril du Brent a connu une année très volatile, au gré de l’équilibre entre offre et demande et des tensions géopolitiques. Après avoir oscillé entre 80 $ et 85 $/baril jusqu’en mars, le prix du pétrole a baissé à près de 70 $ – un plus bas depuis fin 2021. Étant resté faible durant la majeure partie du printemps, les prix ont fortement augmenté l’été jusqu’à approcher 95 $ en septembre, avant de rebaisser vers 75 $ d’ici à décembre. Le prix du pétrole pourrait rester relativement stable, autour de 80 $/bl, pour les prochaines semaines/mois, du fait de l’excès d’offre de pétrole américain et de la difficulté des pays de l’OPEP à s’entendre sur une nouvelle baisse de production.

L’or. Le prix de l’or a fortement augmenté en 2023, passant de 1 825 $ l’once à 2 060 $. Il a atteint son plus haut historique début décembre, bénéficiant notamment de la faiblesse du dollar. Malgré la forte hausse sur l’année, l’évolution de l’or a été en dents de scie en fonction des tensions géopolitiques, des risques inflationnistes et de l’évolution du dollar.

Clémentine Gallès
Chef Economiste et Stratégiste Société Générale Private Banking, 19 janvier 2024

Source des données chiffrées : Bloomberg

Sources : S&P Dow Jones Indices, Reuters, Refinitiv, octobre 2023.
Les données relatives aux performances passées ont trait à des périodes passées et ne sont pas un indicateur fiable des résultats futurs. ceci est valable également pour ce qui est des données historiques de marché.