EN PRIVÉ
Donald Trump contre « Big Pharma » :
le bras de fer inégal
Pour les grands laboratoires pharmaceutiques, point de salut hors du marché américain. « Big pharma » est donc contraint d’accepter baisses de prix sur les médicaments et promesses d’investissements massifs aux États-Unis pour satisfaire la Maison Blanche et payer moins de droits de douane.
Comme à son habitude, Donald Trump n’y était pas allé par quatre chemins pour annoncer de nouveaux droits de douane sur les médicaments à partir du 1er octobre. « Nous appliquerons une taxe de 100 % sur tout produit pharmaceutique de marque ou breveté, sauf si une entreprise construit son usine pharmaceutique en Amérique » avait-il prévenu à l’adresse de « Big Pharma ». Si la nouvelle n’a pas rassuré les patrons des grands laboratoires déjà priés de baisser les prix de leurs médicaments, elle ne constituait pas pour autant une surprise. Depuis plusieurs mois, nombre d’entre eux se sont lancés dans des projets de construction d’usines aux États-Unis.
Il est vrai que Donald Trump sait très bien que « Big Pharma » n’est pas en position de force pour se fâcher avec lui. Près de la moitié des ventes mondiales de médicaments (en valeur) sont enregistrées aux États-Unis et les Américains dépensent deux fois plus que les Européens pour leur santé. Mais le constat n’est pas à l’avantage des premiers qui payent leurs médicaments plus chers que dans n’importe quel autre pays de l’OCDE, permettant à l’industrie pharmaceutique de réaliser environ 2/3 de ses profits aux États-Unis et de financer par conséquent une part substantielle de l’innovation médicale au niveau mondial.
En février, l’américain Eli Lilly a été le premier à sortir le chéquier (27 Mds$) pour entamer la construction de quatre nouvelles usines. Mi-septembre, le Britannique GSK, qui a réalisé 52 % de son CA en 2024 sur le marché américain, annonçait de son côté son intention d’investir au moins 30 Mds$ aux États-Unis dans la R&D et la production au cours des cinq prochaines années. Au total, les promesses d’investissements des grands laboratoires culmineraient ainsi à 350 Mds$ d’ici 2030. En outre, plusieurs groupes pharmaceutiques ont déjà rendu les armes et signé un accord avec l’administration américaine en acceptant de baisser les prix de certains médicaments en échange d’un allègement substantiel sur les droits de douane. L’Allemand Merck va par exemple réduire les prix de ses médicaments contre l’infertilité, une annonce qui a mis en joie le président américain et qui traduit surtout la très forte dépendance de « Big Pharma » à l’Oncle Sam.
Après le @Dupixent, Sanofi cherche son futur« blockbuster »
Et le Français Sanofi ? Un engagement conséquent d’au moins 20 Mds$ d’investissements aux États-Unis d’ici 2030 mais loin toutefois des 50 Mds$ promis par le Suisse Roche ou le Britannique AstraZeneca sur la même période. Au troisième trimestre, Sanofi a réalisé un chiffre d’affaires en hausse de 2,3 % à 12,43 Mds€, légèrement au-dessus du consensus pour un résultat net des activités (hors cessions et acquisitions) à 3,55 Mds€ (+4 %). Surtout, le laboratoire confirme ses objectifs financiers pour l’année 2025, marqués notamment par un rebond du BNPA estimé entre 10 et 14 %. Il est vrai que Sanofi reste porté par le succès de son « blockbuster » @Dupixent (traitement des maladies inflammatoires). Son médicament star a dépassé la barre des 4 Mds€ de chiffre d’affaires au troisième trimestre, dont plus de 3 Mds€ pour le seul marché américain !
Si le succès du @Dupixent (30 % du CA de Sanofi) est incontestable, Sanofi doit lui trouver un successeur alors que son brevet expire en 2031. Or, les résultats des essais cliniques de l’@amlitelimab (traitement des maladies inflammatoires) ont clairement déçu le marché, début septembre. Une nouvelle qui a fait vaciller le cours du laboratoire français de plus de 8 % en une séance, traduisant l’extrême nervosité des investisseurs à l’égard d’un secteur où l’innovation reste une obligation permanente.
Dans ce contexte, « Big Pharma » cherche les relais de croissance les plus prometteurs. Un segment attire tout particulièrement les convoitises : celui de l’obésité. Un marché qui devrait dépasser les 100 Mds$ de chiffre d’affaires annuel d’ici 2030. Actuellement, deux laboratoires se taillent la part du lion : le Danois Novo Nordisk avec son @Wegovy et l’Américain Eli Lilly et son @Mounjaro. Si Novo Nordisk a été porté au cours des dernières années par le succès de son médicament anti-diabétique @Ozempic et sa déclinaison utilisée contre l’obésité (@Wegovy), le vent a incontestablement tourné en sa défaveur. Le géant danois a été contraint de revoir en baisse ses prévisions de croissance en 2025 autour d’une fourchette de 7 à 11 % contre 8 à 14 % précédemment, ainsi que ses prévisions de marge opérationnelle pour la troisième fois cette année, dans une fourchette comprise entre 4 et 10 %.
L’offensive de Pfizer pour bousculer Novo Nordisk et Eli Lilly sur le marché lucratif des traitements anti-obésité
Novo Nordisk a mangé son pain blanc alors que la molécule à l’origine des deux médicaments stars du laboratoire danois va devenir génériquable dès 2026 dans certains pays (Chine, Inde, Brésil etc.) et en 2030 aux États-Unis et en Europe. Dans le même temps, le @Mounjaro d’Eli Lilly est en pleine forme. Sur les neuf premiers mois de l’année, ce dernier est désormais le médicament le plus vendu au monde en valeur (24,8 Mds$).
En outre, les concurrents des deux laboratoires s’activent pour développer des coupe-faim de nouvelle génération, à l’instar du Suisse Roche qui développe un candidat-médicament en collaboration avec la biotech danoise Zealand Pharma. De son côté, l’Américain Pfizer a pris la décision, mi-avril, d’abandonner son projet de pilule expérimentale contre l’obésité (@Danuglipron) suite à des essais peu concluants. Mais la bataille n’est pas perdue pour le géant américain qui vient de réaliser une belle opération en prenant le contrôle de Metsera, une biotech américaine créée en 2022 et spécialisée dans le traitement de l’obésité. Une acquisition à plus de 10 Mds$ réalisée au détriment de… Novo Nordisk qui avait surenchéri à l’offre initiale de Pfizer en promettant 8,5 Mds$. Une chose est sûre, le laboratoire danois souhaite repartir à l’offensive en réalisant de nouvelles acquisitions.
Si le marché de l’obésité suscite toutes les convoitises, Donald Trump s’est impliqué en personne pour négocier et arracher, début novembre, de très fortes baisses de prix pour le @Wegovy (1 350$ par mois) et le @Zepbound (1 080 $ par mois). Ce dernier est un traitement contre l’obésité proposé par Eli Lilly et qui partage le même ingrédient actif que le @Mounjaro. Les deux molécules seront accessibles sous conditions à des tarifs d’environ 150 $ sur une plateforme agréée par le gouvernement. En contrepartie, les deux laboratoires viennent d’obtenir une exemption de droits de douane sur tous leurs médicaments pendant trois ans.
« Big Pharma » au-dessus des États ? L’idée reçue a donc vécu. Donald Trump est venu rappeler à sa manière, en ne lésinant pas sur le chantage, que cette industrie devait se plier aux caprices du pouvoir politique, surtout quand il s’agit du premier marché mondial en valeur. D’autant qu’il s’agit de l’un des rares domaines où le président américain recueille un certain consensus, étant donné les prix exorbitants des médicaments outre-Atlantique.
En Bourse, les fortunes sont diverses cette année. Cotée à Paris, Sanofi se négocie à 11 fois ses bénéfices prévisionnels 2025 et perd 4 % depuis le début de l’année ; le britannique GSK s’envole à l’inverse de 33 %, devançant le Suisse Novartis qui gagne 18 %. En difficulté, Novo Nordisk chute de 50 % en 2025. À Wall Street, Pfizer recule de 5,5 % tandis qu’Eli Lilly et Johnson & Johnson bondissent respectivement de 33 % et 35 % depuis le début de l’année.
Julien Gautier
Responsable éditorial – Agence Fargo-Sachinka, 14 novembre 2025
* Cours Boursorama, 14 novembre 2025 en clôture

