EN PRIVÉ

À L’ÉQUILIBRE

Nous anticipons une croissance modérée pour les trimestres à venir, ne permettant pas aux tensions inflationnistes sous-jacentes de se détendre rapidement. Dans ce contexte, les banques centrales finiraient très prochainement leur cycle de resserrement monétaire mais attendront avant d’enclencher un début d’assouplissement, le « pivot », contrairement à ce que les acteurs des marchés semblent anticiper.

Banques centrales
Proches du « pic » mais pas encore du « pivot »

Scénario de croissance modérée. Les enquêtes auprès des directeurs d’achat montrent que l’activité des économies développées est restée positive au premier trimestre, notamment dans le secteur des services. Les économies présentent en effet toujours une certaine dynamique de reprise après les chocs successifs de la pandémie et de la guerre en Ukraine. Les difficultés sur les chaînes de production se sont normalisées, les tensions sur le secteur de l’énergie se sont adoucies et la Chine a mis fin à une longue période de restrictions sanitaires. Le resserrement monétaire significatif opéré par les principales banques centrales commence à peser sur l’accès aux financements bancaires, mais l’impact sur l’activité économique restera modéré par une épargne toujours élevée des ménages et des entreprises.

Une inflation totale qui diminue mais des tensions sous-jacentes sur les prix qui persistent. L’inflation totale continue de nettement baisser aux États-Unis (à 5 % en mars) et diminue légèrement en Europe (à 6,9 % pour la zone euro et 10,1 % au Royaume-Uni). Cette tendance pourrait s’accélérer dans les mois qui viennent avec la modération des prix de l’énergie.
En revanche, l’inflation sous-jacente (5,6 % pour les États-Unis, 5,7 % pour la zone euro et 6,2 % pour le Royaume-Uni) mettra du temps à retrouver un niveau jugé confortable par les banques centrales. Le dynamisme des marchés du travail encourage la croissance des salaires alors que les gains de productivité restent très faibles, propageant ainsi les tensions sur les prix.
Le dynamisme des marges des entreprises semble aussi entretenir les tensions sur les prix de vente.

Il semble encore trop tôt pour anticiper un relâchement des conditions monétaires. Les banques centrales semblent proches de la fin de leur cycle de resserrement marqué (+475 points de base déjà mis en place pour la Fed, +350 pour la BCE et +425 pour la Banque d’Angleterre). Les turbulences bancaires ont encouragé les acteurs de marchés à anticiper qu’elles pourraient commencer à baisser les taux dans les prochains mois. La détente des prix des matières premières permettrait de voir rapidement l’inflation totale diminuer un peu partout, ce qui pourrait aller dans le sens d’une telle détente. Cependant, les tensions inflationnistes sous-jacentes pourraient mettre du temps à se modérer. Cela incitera les banques centrales à adopter une position plus attentiste que celle anticipée dans les marchés. Les banques centrales ne baisseraient leur taux en 2023 qu’en cas de réalisation d’un scénario adverse d’une récession marquée.

Actions
Une préférence pour l’Europe

États-Unis. Depuis la faillite de SVB et les tensions bancaires, les marchés actions ont repris significativement, avec le S&P progressant de 7 % depuis mi-mars, alors que le Nasdaq 100 a progressé de 10 % sur la même période. Cette progression s’explique d’une part par les moindres craintes de crise systémique, les différentes mesures mises en place par les autorités ayant permis une diminution des tensions des financements des banques régionales. D’autre part, les attentes d’une contraction du crédit et d’un ralentissement de l’économie se sont traduites aussi par des anticipations de baisse de taux de la Fed dès le deuxième semestre 2023, favorisant ainsi une remontée des actions. Cependant, nous estimons que la croissance va rester modérée dans les trimestres à venir, avec des pressions inflationnistes sous-jacentes encore importantes, menant la Fed à maintenir son taux directeur à 5 % toute l’année. Par ailleurs, les profits des entreprises affichent une dynamique défavorable, en contraction depuis le troisième trimestre 2022 alors que les perspectives de bénéfices restent moroses pour 2023.

Zone euro. Comme aux États-Unis, les marchés actions européens ont montré une très bonne performance depuis les tensions bancaires et la résolution de Crédit Suisse. L’indice actions de la zone euro enregistre une hausse de 8 % depuis les tensions bancaires. Par ailleurs, les indices actions européens surperforment nettement les indices américains depuis le T4-22. Cette bonne performance reflète tout d’abord l’amélioration des perspectives économiques, avec la dissipation des risques énergétiques et la réouverture de l’économie chinoise. D’autre part, les profits des entreprises ont enregistré une forte croissance en 2022 avec des perspectives de bénéfices qui restent bien orientées. Enfin, malgré la hausse des valorisations, les indices européens restent globalement attractifs, avec des ratios prix-sur bénéfices-attendus à leur moyenne historique.

Marchés émergents. La reprise de l’économie chinoise, et notamment la consommation des ménages, devrait soutenir les revenus des entreprises. Par ailleurs, les autres grandes économies émergentes devraient aussi profiter de l’accélération de la croissance en Chine.

Taux
Neutralité dans un contexte de ralentissement mais d’inflation toujours importante

États-Unis. Les taux des Treasuries ont connu une tendance à la hausse depuis la fin des turbulences bancaires. En effet, le taux à 10 ans avait chuté à 3,30 % avant d’atteindre récemment 3,60 %, tiré principalement par des données économiques résilientes. Le rapport du nombre de créations d’emplois confirme cette résilience du marché du travail. Du côté de l’inflation, si le chiffre total continue de diminuer, atteignant 5 % en mars, après 6 % en février, l’inflation sous-jacente a légèrement progressé à 5,6 % après 5,5 % en février. Cependant, la consommation des ménages commence à montrer des signes de modération. La Fed devrait poursuivre son resserrement monétaire en augmentant de +25 points de base ses taux directeurs lors de sa prochaine réunion, avant une stabilisation durable des taux tant que l’inflation sous-jacente ne diminue pas nettement. Les conséquences du stress bancaire et l’ampleur du durcissement des conditions financières susciteront une attention toute particulière de la Fed dans les mois à venir.

Zone euro. Les taux des obligations d’États de la zone euro ont aussi connu une tendance à la hausse à la suite de données macro-économiques résilientes, suggérant la poursuite du resserrement monétaire. Le taux du Bund et de l’OAT à 10 ans ont augmenté, pour se situer respectivement à 2,5 % et 3 %. L’activité économique démontre toujours une certaine résilience, avec des indices PMI qui ont surpris à la hausse, et l’inflation totale et sous-jacente restent pour le moment trop élevées (6,9 % et 5,7 % respectivement). Les marchés du travail restent toujours dynamiques, accentuant les pressions salariales. Compte tenu de ces données, la BCE maintient un ton restrictif. L’objectif principal reste de ramener l’inflation vers sa cible de 2 %, ce qui devrait conduire à une augmentation des taux directeurs de +25 points de base lors de sa prochaine réunion. Cependant, l’évolution de la distribution des crédits bancaires reste à surveiller.

Devises
Un bon momentum pour les devises européennes

La baisse des craintes sur les risques bancaires dans les économies développées a permis un recul du dollar contre les principales devises. Notons également la réduction de l’écart des taux d’intérêt entre la Fed et la BCE/BoE.

Indice dollar. Le dollar américain a perdu du terrain face aux principales devises développées et émergentes sur fond de moindres craintes de crise bancaire et d’une nette amélioration des comptes externes de ces pays. Dans un contexte où la Fed devrait mettre une pause à son cycle haussier lors de la prochaine réunion de mai, le dollar devrait rester contenu au cours des mois prochains.

EUR/USD. La devise européenne a progressé de 2,5 % depuis
un mois avec la baisse des tensions bancaires.
Nous estimons néanmoins que l’EUR devrait rester sur une dynamique haussière face au dollar, compte tenu d’un écart de taux d’intérêts entre la Fed et la BCE qui devrait continuer de se réduire et des comptes externes européens qui devraient poursuivre leur amélioration.

EUR/JPY. La devise japonaise a reculé face à l’euro de 3,5 % dans un contexte d’écart grandissant de taux d’intérêt. En effet, le Japon maintient pour le moment son régime de contrôle de la courbe de taux où la Banque du Japon conserve un cap à 0,5 % pour le JGB à 10 ans. Les marchés s’attendent à ce que le nouveau gouverneur, M. Kazuo Ueda, mette en place une sortie progressive de ce régime, sachant que l’inflation au Japon a enfin dépassé le seuil de 2 %, que les salaires nominaux commencent eux aussi à augmenter à un rythme supérieur à 2 %, et que ce régime oblige pour finir la BoJ à continuer d’acheter des titres souverains alors qu’elle possède déjà plus de 40 % du total.

EUR/CHF. L’inflation en Suisse reste très en dessous de l’inflation européenne (2,9 % en mars pour l’inflation totale contre 6,8 % en zone euro) soutenant la devise suisse. Par ailleurs, la BNS poursuit aussi son cycle de resserrement – avec un taux terminal anticipé à 1,25 % en 2023 – et la réduction de ses réserves de change. Finalement, dans un cadre de forte volatilité financière et géopolitique, le CHF joue son rôle de valeur refuge.

Clémentine Gallès
Chef Economiste et Stratégiste Société Générale Private Banking, 22 mai 2023