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Automobile : les constructeurs européens n’ont pas dit leur dernier mot

Malmenée en Bourse, la filière automobile européenne affronte les vents contraires et une concurrence particulièrement féroce. Pour autant, les assouplissements réglementaires déjà amorcés et la capacité d’innovation des constructeurs du Vieux Continent montrent qu’un retour en grâce est possible.

« 2025, c’est un moment charnière. Le marché chinois va dépasser ceux de l’Europe et des États-Unis réunis. L’Europe doit choisir si elle veut encore être une terre d’industrie automobile ou un simple marché. Dans cinq ans, à ce rythme de déclin, il sera trop tard. Le sort de l’industrie automobile européenne se joue cette année ». Les mots sont forts. John Elkann, le patron de Stellantis, invité début mai par Le Figaro à évoquer l’avenir de la filière automobile, n’y est pas allé par quatre chemins. À ses côtés, Luca de Meo, le patron de Renault, dresse un constat similaire : « Au rythme actuel, le marché pourrait être plus que divisé par deux en l’espace d’une décennie […]. Il faut repartir de la demande » alors que 15 millions de véhicules se sont vendus en Europe (UE + Royaume-Uni + Suisse) en 2024 contre 18 millions en 2019. L’automobile est en effet la seule activité majeure qui n’a pas retrouvé les niveaux de production pré-Covid.

La réglementation est au banc des accusés. L’interdiction prévue en 2035 de la vente de véhicules thermiques (sauf ajournement ou assouplissement de la décision concernant les modèles les moins polluants) et l’augmentation des prix (en grande partie résultant de l’évolution de la réglementation) ont contribué à assécher le marché automobile du Vieux Continent. Les deux patrons déplorent notamment une réglementation construite pour les marques premium au détriment des petites voitures, cœur de l’activité de Stellantis et de Renault.

En parallèle, l’administration Trump a dégainé, le 27 mars, de nouveaux droits de douane de 25 % frappant le secteur automobile alors que la première puissance mondiale constitue le deuxième marché des constructeurs européens au niveau global. En 2024, près de 750 000 voitures européennes ont ainsi été exportées outre-Atlantique représentant une valeur de 38,5 milliards d’euros, selon l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA). Si les revirements successifs de Donald Trump, proposant une pause de 90 jours, le 9 avril, sur les surtaxes douanières, n’ont pas fini d’alimenter la volatilité des titres concernés, faut-il pour autant désespérer du secteur automobile et tout particulièrement des acteurs européens cotés en Bourse ?

Des constructeurs européens sous pression

Les constructeurs européens sont en effet contraints de répondre à des équations complexes, voire impossibles diront certains. L’objectif étant de proposer à des consommateurs dans les pays développés, dont le pouvoir d’achat est contraint, des modèles attractifs et accessibles tout en essayant de préserver leurs marges alors même que les concurrents chinois (BYD, MG, SAIC, etc.) ont pris une longueur d’avance dans l’électrique et sont en passe de déferler sur le marché européen avec des prix beaucoup plus attractifs.

Chez Stellantis (PSA, Fiat Chrysler, etc.), la crise actuelle de gouvernance n’a fait qu’accentuer la défiance des investisseurs depuis plusieurs mois. La sanction boursière est lourde : le titre chute de 24 % depuis le début de l’année (-55 % en un an*), même si le regain est palpable au cours de ces dernières semaines. Au premier trimestre, le chiffre d’affaires cède 14 % sur un an, à 35,8 milliards d’euros. La direction a suspendu ses prévisions financières en raison de l’incertitude liée aux droits de douane américains. En 2024, la marge opérationnelle avait été divisée par 2, à 5,5 %. En décembre 2024, le conseil d’administration dirigé par John Elkann a décidé de se séparer à l’unanimité de Carlos Tavarès, l’homme fort du groupe qui avait pourtant à son actif plusieurs succès indéniables : sauvetage de PSA (Peugeot Citroën) à partir de 2014, rachat concluant d’Opel en 2017 puis lancement réussi de Stellantis en 2021. Mais les méthodes autoritaires du patron à la tête de 14 marques et de 250 000 salariés ont fini par exaspérer jusqu’aux instances dirigeantes du groupe franco-italo-américain domicilié aux Pays-Bas. D’autant qu’après les succès initiaux, Stellantis a subi de plein fouet le retournement du marché automobile l’an dernier. En 2024, le chiffre d’affaires a chuté de 17 % et le bénéfice net de 70 % !

Chez Renault dont le cours gagne 4 % depuis le début de l’année (-2 % sur un an), l’ambiance est un peu plus sereine. Cela n’a pas toujours été le cas quand on se remémore les déboires de la gouvernance du groupe au losange suite à l’arrestation spectaculaire de son ancien patron tout-puissant Carlos Ghosn en 2018… Mais la page a été tournée et le redressement amorcé tout d’abord par Jean-Dominique Sénard puis par Luca de Meo à partir de 2020. Au premier trimestre, Renault a publié un chiffre d’affaires en croissance de 0,6 %, à 11,68 milliards d’euros et maintenu ses prévisions de marge opérationnelle supérieure ou égale à 7 % en 2025 (vs. 7,6 % l’an dernier). Le quatrième constructeur mondial (Renault, Dacia, Alpine, etc.), dont le capital est détenu à 15 % par l’État et à 15 % par Nissan, est engagé dans une vaste transformation donnant la priorité aux véhicules électriques qui ont représenté 61 % des ventes de la marque Renault en Europe au premier trimestre (hausse de 15 points par rapport au T1 2024).

Les ventes de Tesla dégringolent en Europe

Outre-Rhin, Volkswagen (VW, Audi, Seat, Porsche etc.) a averti fin avril que le nouveau contexte international risquait de peser sur les marges cette année, alors même qu’au premier trimestre, le deuxième constructeur mondial derrière Toyota a vu son bénéfice après impôts reculer de 41 % à 2,19 milliards d’euros par rapport au T1 2024. Si le groupe allemand a vu son chiffre d’affaires augmenter de 1,4 % sur la même période grâce à des volumes satisfaisants en Europe et en Amérique du Nord, la situation est plus compliquée en Chine (-7 % sur un an) et le marché américain qui représente 13 % des ventes va subir de plein fouet l’effet des droits de douane. En Bourse, le titre Volkswagen progresse de 12 % depuis le début de l’année mais décroche de 26 % sur un an.

Fin avril, les chiffres des immatriculations du premier trimestre sont tombés en Europe et confirment les difficultés globales du secteur. Les ventes de véhicules particuliers neufs sur le Vieux Continent ont ainsi reculé de 1,9 % au cours des trois premiers mois de l’année. En revanche, les chiffres sont très contrastés d’un groupe à l’autre. Si les ventes de véhicules Stellantis ont reculé de 14 %, celles de Tesla dégringolent de 45 %, selon l’ACEA. Preuve que les constructeurs européens gardent des atouts dans leur manche : Stellantis est passé devant Toyota concernant les ventes de véhicules hybrides grâce à sa technologie e-DCT. Quant à Renault Group, ses ventes trimestrielles en Europe ont augmenté de 9,5 % (+11,6 % en mars !).

En outre, il semble que les autorités européennes commencent à entendre les revendications des constructeurs du Vieux Continent qui ne cessent d’alerter depuis plusieurs années des lourdes conséquences des réglementations imposées par Bruxelles. Jeudi 8 mai, le Parlement européen a ainsi validé un assouplissement des règles imposées aux constructeurs en matière d’émissions de CO2. Un vote qui s’inscrit dans la continuité du plan de soutien à la filière annoncé début mars par la Commission européenne. Les Eurodéputés ont voulu accorder un peu de temps aux constructeurs et leur éviter de devoir acquitter, dès 2025, des amendes potentiellement catastrophiques dans le contexte actuel. Un sursis qui pourrait appeler d’autres décisions du même ordre. Un signe aussi que la sortie de route des constructeurs européens n’est peut-être pas inéluctable.

Julien Gautier
Responsable éditorial – Agence Fargo-Sachinka, 16 mai 2025

* Cours Boursorama, 16 mai 2025 en clôture