L’ANALYSE

Bruno et ses gros sabots

Pas besoin d’être un fervent défenseur du libéralisme débridé pour éprouver un certain malaise après le veto opposé par le gouvernement français au rachat de Carrefour par Alimentation Couche-Tard. Enfin « veto », il faut le dire vite, car le terme n’a jamais vraiment été prononcé. La sémantique se voulait plus subtile. Bruno Le Maire a indiqué qu’un rachat de Carrefour serait une « difficulté majeure », ou que « cette opération n’est a priori pas souhaitable ». La ministre du travail Isabelle Borne était pour sa part « favorable à ce qu’il n’y ait pas de remise en cause de l’actionnariat actuel ». Suffisamment explicite en tout cas pour que le message soit reçu. Quelques jours après avoir reconnu l’existence de discussions préliminaires, Carrefour et Alimentation Couche-Tard ont rapidement officialisé l’abandon de leur projet.

Les enseignes alimentaires feraient-elles partie des actifs stratégiques d’un pays, au même titre que la défense, l’industrie de pointe, la cybersécurité ou les télécommunications ? Manifestement oui. Bruno Le Maire a même asséné que « la sécurité alimentaire est au cœur des défis stratégiques de tous les pays développés ». La sécurité alimentaire, à coup sûr, en partant du début de la chaîne d’approvisionnement et pas de la fin. Mais la distribution ? Pour paraphraser un analyste qui suit le dossier, si Carrefour disparaissait du jour au lendemain, ses nombreux concurrents rempliraient à vitesse grand V l’espace laissé libre et la sécurité alimentaire de la France n’aurait pas beaucoup à en souffrir.

Le problème, c’est que ces prises de position un peu arbitraires alimentent la prudence des investisseurs vis-à-vis d’une France toujours prompte à dégainer des exceptions, et pas toujours à bon escient. Une France qui aurait sûrement poussé des cris d’orfraies si Ottawa ou Québec avaient jugé« a priori pas souhaitable » le rachat de Bombardier Transport par Alstom.

Bruno Le Maire s’est démultiplié et continue à le faire pour colmater les brèches créées par le coronavirus dans l’économie française. Mais il ne faudrait pas que, grisé par son omniprésence, l’interventionnisme de Bercy aille trop loin, au risque de pénaliser les entreprises françaises qui ont besoin de capitaux, étrangers en l’occurrence, pour se développer.

Patrick Rejaunier
© 2020 zonebourse.com, 18 janvier 2021

PATRICK REJAUNIER

“Les enseignes alimentaires feraient-elles partie des actifs stratégiques d’un pays, au même titre que la défense, l’industrie de pointe, la cybersécurité ou les télécommunications ?”

CHIFFRES CLÉS

1,742 actions

Peugeot quitte la cote, c’est ainsi que les actionnaires du groupe PSA ont reçu 1,742 actions Stellantis pour 1 action Peugeot détenue, l’opération se fera automatiquement.

Janvier 2021, source : Reuters

53 $

Le West Texas Intermediate (WTI) atteint son niveau de février 2020 à 53 $, il en est de même pour le Brent de la mer du Nord qui rejoint également ses niveaux d’avant crise.

Janvier 2021, source : Reuters

5 600 points

L’indice national a dépassé le niveau de résistance psychologique des 5 600 points ce mois-ci, un niveau non franchi depuis la chute des cours de mars 2020 (suite à la crise sanitaire du Covid 19).

Janvier 2021, source : Bloomberg