EN PRIVÉ

Crise du Covid-19

Le triomphe des valeurs technologiques

Une pandémie qui entraîne une crise économique d’une ampleur inédite, des marchés qui chutent avant de se reprendre… L’année 2020 restera incontestablement dans les mémoires boursières, quoi qu’il advienne d’ici la fin de l’année. Avec un constat implacable : les valeurs technologiques, que certains observateurs jugeaient survalorisées avant la crise, ont mieux résisté et même creusé l’écart avec les autres secteurs. Le coronavirus n’a fait qu’accélérer la « numérisation » du monde.

« Trop chères », « elles ont monté trop vite en 2019 », « leur price earning ratio (PER) atteint des niveaux stratosphériques », « l’engouement autour de ces valeurs est irrationnel, elles vont exploser à la prochaine correction boursière » etc. Vous avez peut-être déjà lu ces critiques, en début d’année, à propos des valeurs technologiques qui dominaient déjà les indices américains avant la crise en faisant de l’ombre à toutes les autres. Pourtant, les fameux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) n’ont pas explosé en vol. Loin de là. Dans le vert, elles surclassent largement l’indice Dow Jones depuis le début de l’année. En avril, une étude publiée par Bank of America remarquait que la capitalisation boursière de ces cinq fleurons américains de l’économie numérique pesait désormais 22 % de celle de l’indice S&P 500 !

Mais cet engouement des investisseurs ne se limite pas aux GAFAM. Les investisseurs qui adorent les sigles ont inventé celui de NATU pour englober sous le même étendard Netflix, Airbnb, Tesla et Uber. Des valeurs qui symbolisent encore mieux que les GAFAM la puissance « disruptive » de l’économie digitale. Tesla, qui fabrique des voitures électriques et n’est pas une valeur digitale à première vue, bouscule grâce à sa technologie les constructeurs traditionnels. Elle est ainsi perçue davantage par la communauté financière comme une valeur technologique, voire comme une valeur de l’industrie du luxe, plutôt que comme un simple fabricant d’automobiles. Avec le succès que l’on sait. Le 1er  juillet dernier, le groupe californien est ainsi devenu le constructeur le mieux valorisé en Bourse devant Toyota alors même qu’il produit vingt fois moins de véhicules que son concurrent japonais (source : Les Échos). Un constat à méditer sur la notion de valorisation boursière…

En attendant, les marchés aiment la disruption et le phénomène profite plus que jamais à ces valeurs technologiques dont le rapport estimé entre le cours de Bourse et les bénéfices attendus pour 2020 met en lumière une valorisation beaucoup plus élevée en moyenne que dans la plupart des autres secteurs. Si le « price earning ratio » (PER) de Coca-Cola* ressort aux environs de 24 pour cette année, à des niveaux comparables à celui du distributeur Walmart* (26), celui d’Apple* se rapproche de 30, non loin de Facebook* (33), alors qu’Alphabet* (la holding cotée de Google) se valorise 37 fois ses bénéfices 2020, tout comme Microsoft* à 37,5. En juillet, le peloton des GAFAM se payait donc entre 30 et 40 fois les bénéfices estimés pour cette année. Avec Netflix, on change de catégorie (PER de 85), bien loin toutefois d’Amazon* dont l’action se négocie près de 168 fois son bénéfice attendu. Et encore, le géant du e-commerce reste loin derrière Tesla*, vainqueur toutes catégories avec un PER situé aux alentours de 374 ! Au petit jeu des valorisations boursières, Elon Musk écrase Jeff Bezos et ces deux-là écrasent la concurrence.

Qu’achètent donc les investisseurs ? Ces valeurs chéries sont visiblement créditées de dessiner le futur et cela n’a pas de prix si l’on se réfère aux règles classiques de l’analyse financière. Les GAFAM et autres NATU inventent les contours d’une « nouvelle économie » que l’on avait cru advenir au tournant des années 2000. Quand la bulle avait fini par éclater en septembre 2000, l’illusion s’était dissipée sur ces « valeurs internet » aux chiffres d’affaires quasi-inexistants et qui se contentaient pour la plupart de brûler de la trésorerie. Les investisseurs ne se feraient plus avoir !

Alors, que s’est-il passé cette fois-ci ? La crise du Covid-19, loin d’entraîner un éclatement d’une supposée bulle des valeurs technologiques a, au contraire, renforcé leur statut de « superstars » et leur domination sur Wall Street. Deux mois de confinement dans la plupart des pays de l’OCDE, l’explosion du télétravail et l’augmentation du temps passé devant les écrans peuvent aisément illustrer l’ascendant pris par les GAFAM et autres Netflix qui, à la différence des valeurs internet de l’an 2000, s’avèrent de véritables machines à cash.

Des valeurs technologiques françaises qui tirent leur épingle du jeu

Et le CAC 40 dans tout ça ? Nul GAFAM ou NATU à l’horizon mais pas question de se lancer dans un exercice facile de « french bashing » pour regretter le sempiternel retard des innovateurs français et européens en matière d’internet et d’économie numérique sur leurs concurrents américains. Soulignons plutôt la réussite de quelques groupes hexagonaux qui ont réussi à conquérir des places de choix dans l’économie numérique mondiale.

La force française en matière technologique se trouve d’abord du côté des « entreprises de services numériques » (ESN), anciennement désignées sous l’acronyme « SSII » (Sociétés de service en ingénierie informatique). Les deux champions nationaux de ce secteur sont bien sûr Capgemini* et Atos*, suivis de Sopra Steria* au sein du SBF 120, qui se trouvent certes derrière IBM au niveau mondial, mais dominent néanmoins le marché de la transformation numérique des entreprises à l’échelle européenne. Leurs multiples de valorisation sont loin d’atteindre les niveaux précédemment mentionnés, avec des PER inférieurs à 20 fois les bénéfices pour ces trois valeurs, mais certains investisseurs y verront surtout un signal d’investissement plus sain. Une chose est sûre : le deux ESN du CAC 40 sont parvenues à rattraper la quasi-totalité de leur chute boursière de février-mars, surperformant ainsi face à l’indice parisien depuis le début de l’année. Et pour cause : face au boom du télétravail, ces sociétés ont de beaux jours devant elles en matière de renforcement de la sécurité informatique des entreprises et des accès à distance de leurs salariés. Le rachat d’Altran Technologies par Capgemini, finalisé en plein confinement, permet également au groupe de se diversifier vers le conseil en services d’ingénierie et de R&D.

L’ingénierie apparaît justement comme l’un des autres domaines d’excellence français en matière technologique. Certains grands noms français de ce secteur bénéficient d’un parcours boursier corrélé à celui des champions du Nasdaq, en particulier STMicroelectronics*, qui fournit à Apple des puces électroniques se retrouvant dans tous les modèles d’iPhone. Evoluant « dans le vert » par rapport à son niveau du 31 décembre 2019, le spécialiste des semi-conducteurs voit son PER s’envoler à plus de 37 fois les bénéfices attendus pour 2020, bénéficiant clairement d’un « effet GAFAM ».

D’autres acteurs de l’ingénierie connaissent eux aussi des parcours boursiers brillants, notamment Worldline* et Ingenico* dans le domaine des paiements électroniques. La fusion entre les deux entités, qui devrait être effective au troisième trimestre, a permis à Ingenico de bondir de plus de 40 % depuis le début de l’année, et à Worldline de progresser de 15 % sur la même période. Certaines entreprises n’ont donc rien à envier aux grands noms de la « tech » américaine. Un autre nom de l’ingénierie française ressort également parmi les plus beaux parcours depuis le début de l’année, à savoir Schneider Electric, passée de « valeur industrielle » à « valeur tech » dans l’esprit de certains investisseurs, qui voient en elle un vecteur d’innovation et de croissance dans l’acheminement d’énergie propre ou encore dans la robotisation et l’automatisation de tâches complexes dans des secteurs d’activité variés.

Enfin, toujours parmi les grandes « valeurs tech » françaises se trouve Dassault Systèmes*, entrée au CAC 40 en septembre 2018 et qui s’illustre dans l’édition de logiciels de conception 3D. Avec un PER 2020 de 42, l’entreprise dépasse allègrement ses rivaux du CAC 40. La valeur a étonnement bien résisté à la crise du Covid-19, confirmant que le secteur technologique continue d’attirer les investisseurs de part et d’autre de l’Atlantique.

Julien Gautier et Xavier Bargue, consultants (Agence Fargo)

* Données relevées sur Boursorama le 21 juillet 2020