EN PRIVÉ

Défense et Aérospatiale : un secteur recherché par les investisseurs en 2022

Les budgets militaires augmentent en Europe et dans le monde, garnissant les carnets de commandes d’entreprises soutenues par la puissance publique. Si les investisseurs plébiscitent les valeurs cotées concernées, les dépenses d’armement sont souvent mal perçues en matière de respect des critères ESG.

Le 24 février 2022, Vladimir Poutine déclenchait son « opération spéciale » contre l’Ukraine. La guerre et son cortège d’horreurs faisait son retour en Europe. Avec la fin de la guerre froide au début des années 1990, les européens avaient progressivement réduit leurs dépenses militaires pour toucher, selon l’expression consacrée, « les dividendes de la paix ». Une période désormais lointaine et révolue. Dès le 27 février, Olaf Scholz prononçait un discours historique au Bundestag, rompant avec le pacifisme traditionnel de l’Allemagne en annonçant une enveloppe immédiate de 100 milliards d’euros destinée à soutenir l’effort de défense outre-Rhin. L’Allemagne veut porter le budget de ses armées à 2 % du PIB, un seuil devenu une exigence définie par l’OTAN, alors que la Bundeswehr accuse un retard important en matière d’équipement. En France, le budget des armées (41 milliards d’euros en 2022) est en constante augmentation et devrait atteindre 50 milliards d’euros en 2025 selon la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025. Au niveau mondial, la France est aussi le troisième exportateur d’armes derrière les États-Unis et la Russie.

Sans surprise, les concepteurs et fabricants d’avions de combat, d’hélicoptères, de chars ou de services électroniques à destination des armées disposent de carnets de commandes pleins et d’une visibilité enviable. Pour les investisseurs, la leçon est claire. Les entreprises cotées qui évoluent dans le secteur de la défense et de l’aérospatiale sont des valeurs d’avenir. À Londres, le britannique BAE Systems bondit de 40 % depuis le début de l’année. À Paris, c’est Thalès qui s’envole de 52 %, enregistrant la plus forte progression du CAC 40 en 2022 quand l’indice parisien abandonne 16 % sur la même période*. Le groupe français spécialisé dans les systèmes de défense, les systèmes aérospatiaux et la cybersécurité incarne cette excellence technologique propre aux métiers de la défense et aux activités aérospatiales. Société commune entre Thales (67 %) et le groupe italien Leonardo (33 %), Thales Alenia Space est ainsi engagée dans un consortium baptisé EuroHAPS, dont l’objectif est de développer une plate-forme européenne de haute altitude destinée à améliorer les capacités européennes de renseignement, de surveillance et de reconnaissance. Pour ce programme, la Commission européenne a octroyé un financement de près de 1,2 milliard d’euros. Un exemple de coopération visant à donner aux européens les outils de leur sécurité future. Les deux entreprises sont également associées à la mission Artemis, pilotée par la NASA, visant à retourner sur la lune. Dans cette course à l’innovation, la France va investir plus de 9 milliards d’euros dans le secteur spatial au cours des trois prochaines années alors que l’ESA, l’agence spatiale européenne, a besoin de 18 milliards d’euros pour financer ses programmes d’ici 2024.

Programme Rafale : une success-story commerciale tardive mais réelle

À plus court terme, Thales pourra compter sur l’excellente visibilité de son activité. Au cours du premier semestre, les prises de commandes ont bondi de 46 % à 11,2 milliards d’euros alors que le contrat de fournitures d’avions Rafale, auquel Thales est associé, entre en vigueur aux Émirats Arabes Unis. Parmi les équipementiers stratégiques engagés dans l’aventure du Rafale, Safran est également de la partie. Le motoriste a annoncé récemment qu’il allait quadrupler la fabrication de moteurs pour le Rafale d’ici à 2025. En Bourse, Safran cède 9 % en 2022 mais le groupe industriel, qui a souffert de la crise du Covid-19, a relevé fin juillet ses perspectives de chiffre d’affaires pour 2022 (entre 18,2 et 18,4 milliards d’euros).

Le Rafale constitue assurément le fleuron de l’industrie militaire « made in France » et son succès commercial tardif assure à son concepteur, Dassault Aviation, des revenus juteux. En Bourse aussi, les investisseurs en redemandent. L’action Dassault Aviation s’envole de plus de 36 % depuis le début de l’année. Il est vrai que l’avionneur enchaîne les ventes à l’étranger (Qatar, Inde, Indonésie, Émirats Arabes Unis, Égypte, Grèce, etc.). Au 30 juin 2022, Dassault Aviation disposait d’un carnet de commandes de 34 milliards d’euros, comprenant 165 Rafale, dont 125 pour l’exportation, et 82 Falcon.

À partir de 2040, le Rafale devrait toutefois laisser la place au programme SCAF (Système de combat aérien du futur). Un avion de chasse européen (Next Generation Fighter) devrait se substituer au programme Eurofighter d’un côté et au Rafale de l’autre. Si Dassault Aviation est attendu comme « maître d’œuvre » du SCAF, son partenariat avec Airbus (division Airbus Defence and Space) a du plomb dans l’aile. Les deux constructeurs vont devoir régler leurs différents pour ne pas mettre le programme SCAF en danger. Il en va de la crédibilité de l’industrie de la défense française et européenne.

États-Unis : des dépenses militaires sans commune mesure avec les pays européens

En matière de défense et d’aérospatiale, les coûts de développement pharamineux des programmes nécessitent en effet une coopération de plus en plus approfondie entre acteurs européens. D’autant plus que l’Europe reste un acteur de taille modeste à l’échelle internationale.

Si les budgets de la défense ont représenté 2 113 milliards de dollars en 2021** au niveau global, les États-Unis se taillent toujours la part du lion (38 %, soit 803 milliards de dollars !), devant la Chine (14 %, 296 milliards de dollars). Les deux superpuissances militaires du XXIe siècle ne sont pas européennes et le poids des commandes de la première armée du monde donne incontestablement un avantage aux géants américains du secteur, à commencer par Lockheed Martin qui fabrique l’avion de chasse F-35. Malgré des résultats semestriels décevants (le chiffre d’affaires au T2 s’est établi à 15,4 milliards de dollars contre 17 milliards un an plus tôt), l’action gagne 16,5 % depuis le début de l’année quand le Dow Jones cède 15 % sur la même période. Le groupe est particulièrement apprécié par ses actionnaires en matière de distribution de dividende qui n’a cessé d’augmenter au cours des deux dernières décennies. De son côté, l’action Northrop Grumman progresse de 25 % en 2022.

Au niveau mondial, les entreprises évoluant dans le secteur de la défense et de l’aérospatiale sont incontestablement recherchées cette année par les investisseurs pour leur visibilité et leur profil défensif, même si elles sont rarement pure player. Soutenues par l’augmentation des commandes publiques, elles constituent un placement apprécié dans le contexte de ralentissement économique actuel. Reste la question de l’investissement socialement responsable (ISR). Les groupes spécialisés dans les activités de défense figurent le plus souvent sur la liste noire des gérants souhaitant mettre en avant le respect des fameux critères ESG (Environnementaux, sociaux et de gouvernance). Les fabricants d’armes sont souvent rangés au même niveau que les vendeurs d’alcool, de tabac ou de jeux d’argent. Il convient pourtant de distinguer la nature des armes fabriquées (conventionnelles ou non) et le pourcentage de ces activités dans le chiffre d’affaires total des groupes concernés. Si les exclusions sectorielles relèvent de l’appréciation de chaque épargnant, la guerre en Ukraine a incontestablement changé la donne en Europe. La locution latine « Si vis pacem, para bellum » (« Si tu veux la paix, prépare la guerre ») semble aujourd’hui partagée par un nombre croissant d’investisseurs.

Julien Gautier
Responsable éditorial, Agence Fargo, 20 septembre 2022

* Source : chiffres Boursorama au 19 septembre.
** Source : SIPRI Military Expenditure Database, avril 2022.