L’ANALYSE
Don’t fight the Fed
Parmi les adages boursiers qui sont rarement démentis par les faits, on retrouve la fameuse expression anglo-saxonne « Dont’t fight the Fed ». En français correct, cela revient à déconseiller de mettre en place des stratégies qui n’iraient pas dans le sens de ce que dit la banque centrale américaine.
De ce que je sais, l’origine exacte de cet adage n’est pas connue. Aucun financier ne semble en revendiquer la paternité, aucun banquier ne l’a prononcé lors d’un gala de charité à New York il y a 50 ans, aucun gérant ne peut affirmer qu’il est le premier à l’avoir couché sur le papier d’un rapport mensuel. Il s’agit simplement d’une manifestation de bon sens… qui a fait son grand retour au milieu du mois de février 2024. Ces derniers mois, la Fed n’a eu de cesse de clamer que les investisseurs étaient trop optimistes sur l’évolution de l’inflation et que cela biaisait leur perception de l’évolution de la politique monétaire. Des investisseurs qui raillaient largement la Fed et son conservatisme mal placé. En d’autres termes, ils pariaient contre la Fed.
Et ce qui devait arriver arriva : le 13 février, le département du travail américain a annoncé que l’inflation de base du mois de janvier est restée perchée à 3,9 %, au-dessus de ce qui était attendu. Une douche froide qui a fait voler en éclats les pronostics les plus favorables. Au moment où ces lignes sont écrites, les contrats à terme ne misent plus que sur trois ou quatre baisses de taux en 2024, dont la première en juin, voire en juillet. Au début de l’année, le marché rêvait de sept baisses de taux à partir du mois de mars. Les statistiques suivantes permettront de déterminer si l’inflation de janvier est un cas isolé ou le début de nouveaux ennuis pour l’économie américaine.
Mais vous pourriez me rétorquer : la Fed a eu raison cette fois, mais ce n’est pas systématiquement le cas, si ? Rien n’est jamais systématique en économie, mais disons que les probabilités jouent largement en faveur de la banque centrale. Je vais vous faire une sorte de réponse a contrario. La recherche montre que les investisseurs sont assez mauvais pour anticiper ce que la banque centrale américaine a prévu de faire. Les exemples ne manquent pas sur les vingt dernières années. Pendant la crise financière de 2008, ils ont ainsi à peu près constamment été à l’envers sur les taux. Rebelotte entre 2009 et 2016, quand ils attendaient des taux supérieurs à 2 % la plupart du temps, alors que le niveau n’a jamais dépassé 0,25 %. Pas vraiment mieux sur le bout de cycle de relèvement de 2017, lorsqu’ils ont mal calibré l’ampleur des hausses à venir. À l’inverse en 2020, ils avaient mal jaugé l’importance de l’assouplissement. Plus près de nous, l’exemple de 2022 est frappant : le marché a constamment sous-évalué l’ampleur de la hausse des taux. Moralité, il vaut quand même mieux éviter de se battre contre la Fed.
Mais à toute chose, malheur est bon : désormais, les projections de la banque centrale et celles des investisseurs sont un peu plus en phase.
Patrick Rejaunier
© 2024 zonebourse.com, 14 février 2024