EN PRIVÉ

D’une « inflation transitoire » à une « inflation hybride »

L’INFLATION NE PEUT PLUS ÊTRE QUALIFIÉE DE « TRANSITOIRE »

Les pressions inflationnistes restent importantes et vont perdurer plus longtemps qu’initialement prévu des deux côtés de l’Atlantique. Pour autant, les chocs restent de natures différentes et nécessiteront des réactions adaptées, notamment en termes de politique monétaire.

Aux États Unis, les pressions inflationnistes étaient déjà présentes fin 2021 : très forte demande interne à la suite de plans de soutien Covid particulièrement généreux, lente normalisation des chaînes de valeur nationales et internationales et enfin hausse des prix de l’énergie notamment du pétrole. Ainsi, l’inflation a continué de fortement accélérer au cours du premier semestre, atteignant 8,5 % en mai (6 % pour l’inflation hors prix de l’énergie et alimentation, la mesure ciblée par la Réserve fédérale), son plus haut niveau depuis les années 80. Cette forte accélération, bien au-dessus des prévisions du consensus et des autorités monétaires, est certes la conséquence de la poursuite de la hausse du prix du pétrole mais aussi en grande partie le résultat d’une économie globalement en surchauffe. Preuve de ceci : la dynamique du marché du travail, avec un taux de chômage historiquement bas et des progressions nominales de salaires importantes. Dans ce contexte, la Réserve fédérale a significativement avancé son calendrier de resserrement en procédant à des hausses importantes de son taux directeur.

Récemment, la dynamique inflationniste américaine émet quelques signes de modération. En effet, depuis le mois d’avril, l’inflation sous-jacente décélère très légèrement, aidée par la modération des prix des biens durables. Par ailleurs, la hausse des salaires a également commencé à montrer des modérations au cours de ces derniers mois. Globalement, l’inflation devrait ralentir de manière progressive au cours des prochains trimestres dans la mesure où les prix de l’énergie restent stables (la forte hausse du prix de pétrole de mars 2022 a rajouté 1 point d’inflation de plus) et que la demande interne ralentit avec le resserrement des politiques économiques. Ainsi, l’inflation devrait ralentir vers 6 % en fin d’année et devrait s’élever en moyenne aux alentours de 3,5 % en 2023.

En Zone euro, l’inflation a aussi rapidement progressé. Elle reste cependant principalement de nature externe, l’économie de la région ne connaissant pas un choc positif de demande de la même ampleur que les États-Unis. Au total, l’inflation de la Zone euro atteint 8 % au mois de mai, avec une contribution de 4 points de l’énergie et de 1,5 point pour l’alimentaire. Le choc des matières premières y est plus important qu’aux États-Unis du fait de la proximité géographique et économique de l’Europe avec la Russie et l’Ukraine : plus forte dépendance aux gaz et aux premières matières premières industrielles. Ce choc important sur les matières premières commence néanmoins à se transmettre aux autres secteurs de l’économie, avec une inflation sous-jacente de 3,7 % au mois de mai, son plus haut niveau depuis le début de la monnaie commune. Par ailleurs, les salaires commencent aussi à augmenter dans cet environnement, avec une hausse moyenne proche de 3 % sur un an des salaires négociés en Zone euro. Il faut cependant noter que cette hausse est bien moindre qu’aux États-Unis, à niveau d’inflation total identique, et qu’elle est inégalement répartie entre les pays membres. Au total, compte tenu des niveaux très élevés d’inflation, bien plus élevés aussi que ce qui était anticipé par la BCE et le consensus à la fin du mois de mars, la BCE a elle aussi décidé d’avancer son calendrier de normalisation en arrêtant ses programmes d’achats d’actifs en juin et en sortant de la politique de taux négatifs dès septembre. Il est important de souligner que même si elle durcit le ton, la politique monétaire de la BCE reste accommodante avec un objectif de taux directeurs seulement légèrement positifs d’ici l’automne. L’inflation de la Zone euro devrait suivre une tendance haussière au cours des prochains mois dans un contexte de prix des matières premières encore élevés et de prix des services en hausse liés au rattrapage post-Covid. L’inflation ne devrait ralentir que très progressivement à partir du T4-2022 du fait la modération des prix de l’énergie (le choc énergétique de T1-22 a rajouté 2,4 points d’inflation) et de l’ajustement de l’économie à ce choc.

En effet, la demande interne restera très fragile, en particulier la consommation, en raison de la contraction des revenus des ménages en termes réels. Nous estimons ainsi que l’inflation devrait ralentir vers 6,5 % en fin d’année pour être autour de 3 % en moyenne sur 2023.

Vers une « inflation hybride ». Si l’inflation ne peut clairement plus être qualifiée de « transitoire », nous continuons d’anticiper un tassement progressif des tensions. Pour autant, à moyen terme, il est probable que les économies restent durablement affectées par les chocs actuels. La transition énergétique, dont la nécessité a été renforcée par les tensions avec la Russie, impliquera une augmentation durable des prix de l’énergie. Par ailleurs, la mondialisation a été un facteur important de la désinflation de deux dernières décennies. La crise Covid et la nouvelle donne géopolitique pourraient accentuer une certaine volonté de réduction de cette mondialisation qui aurait pour effet d’augmenter durablement les prix des biens notamment.

UN SCÉNARIO DE CROISSANCE LÉGÈREMENT POSITIVE POUR 2022

Un scénario de croissance fragilisée, notamment en Zone euro

Le choc sur les matières premières, une inflation plus persistante que prévu et donc un resserrement plus important des conditions monétaires devraient peser sur la dynamique de croissance sans toutefois bousculer les économies en forte récession.

Aux États-Unis, l’activité économique devrait ralentir de manière plus importante avec une croissance attendue aux alentours de 2,5 % contre près de 4 % en début d’année. En premier lieu, le resserrement important des conditions financières au cours des derniers mois, via la hausse des taux d’intérêt et la correction des marchés d’actions depuis le début de l’année (les effets de richesse étant importants dans l’économie américaine). En deuxième lieu, la consommation devrait elle aussi ralentir du fait de la croissance négative des salaires réels. La croissance devrait être soutenue par la dépense des surplus d’épargne accumulés pendant la crise du Covid, la poursuite de la reprise du secteur des services (qui représente 80 % du PIB) à la suite de la fin des mesures sanitaire et un marché du travail qui restera dynamique en termes de création d’emplois et de salaires. Il faut noter que ce ralentissement de l’économie intervient dans un contexte où cette dernière est en situation de surchauffe et que les autorités mettent en place des politiques plus restrictives dans le but de permettre à l’économie « d’atterrir en douceur ».

En Zone euro, l’activité économique devrait elle aussi connaître un ralentissement important avec une croissance attendue aux alentours de 2,5 %. En premier lieu, le choc des matières premières plus important qu’aux États-Unis arrive à un moment où les principales économies de la zone n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant crise Covid. Ainsi, la contraction du revenu disponible réel des ménages européens est plus significative, ce qui devrait se solder par un ralentissement plus marqué de la consommation. En second lieu, le resserrement des conditions financières devrait aussi contraindre l’évolution de la consommation et l’investissement. Dans ce contexte, la croissance devrait être soutenue par l’élan de la réouverture des économies à la suite de la fin des mesures sanitaires (les services représentent 73 % du PIB) et par une politique budgétaire encore favorable dans le cadre du plan de soutien européen NewGenerationEU.

Les économies émergentes devraient aussi connaître un ralentissement important de l’activité à la suite de l’extension des mesures de restrictions sanitaires en Chine, par la hausse des prix des matières premières et le resserrement des conditions financières internationales.

Un scénario avec des risques croissants

Si notre scénario continue à être celui d’une croissance positive en 2022, les risques pesant sur l’activité sont toujours importants. En effet, le premier risque est celui d’une poursuite de la hausse des prix des matières, en cas de nouveau durcissement des sanctions (ban du pétrole et du gaz) dans le contexte de la guerre en Ukraine. Une telle situation rognerait encore davantage le revenu des ménages et les perspectives d’investissement, augmentant ainsi le risque de récession aux États-Unis et en Europe. Le deuxième risque est un resserrement plus marqué des politiques économiques (policy-mix). Face à une inflation qui est très au-dessus de la cible des banques centrales et qui ne devrait diminuer que très progressivement, les banques centrales ont commencé à resserrer leurs politiques afin d’arriver le plus vite au taux neutre, c’est-à-dire au taux d’intérêt compatible avec le plein-emploi et une inflation stable. Ce taux est estimé entre 2 % et 3 % aux États-Unis et entre 1 % et 2 % en Zone euro. Dans le cas d’une inflation qui augmente davantage ou qui ne diminue pas aussi vite que ce que les banques centrales prévoient, il est probable que ces dernières augmentent leurs taux directeurs bien au-dessus du taux neutre dans le but de forcer un ralentissement plus fort de l’économie et d’obtenir ainsi une baisse de l’inflation.

Juan Carlos Mendoza Diaz
Économiste et Stratégiste, Société Générale Private Banking

Source : Reuters, juin 2022

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