EN PRIVÉ

La course à la voiture électrique aiguise l’appétit des investisseurs

Durement frappés par la pandémie, les constructeurs automobiles européens ont redressé la barre et leurs titres sont à nouveau recherchés sur les marchés en 2023. En ligne de mire, l’interdiction des ventes de véhicules thermiques dans l’Union européenne à horizon 2035 entraîne une frénésie d’investissements pour rattraper le champion du secteur, Tesla, et anticiper l’arrivée de la concurrence chinoise.

C’est une belle revanche après la période de grande difficulté traversée par le secteur lors de la crise de la Covid-19 et ses conséquences sur les chaînes d’approvisionnement. À la Bourse de Paris, les constructeurs automobiles font cette année la course dans le peloton de tête. Fin juillet (1), Stellantis réalisait la deuxième progression de l’indice parisien (+38 % depuis le 1er janvier) et Renault grimpait de 26,5 % quand le CAC 40 ne gagnait que 15 % sur les sept premiers mois de l’année. La première place de l’indice occupée par STMicroelectronics (+47 %) nous rappelle aussi le positionnement clé des fabricants de semi-conducteurs dans une économie où la demande en produits électriques et électroniques est appelée à augmenter au cours des prochaines années.

Au-delà des bonnes publications du premier semestre 2023, l’appétit retrouvé des investisseurs pour les valeurs automobiles récompense également l’effort des constructeurs européens qui ont entamé leur virage vers l’électrique pour préparer l’échéance de 2035 (interdiction des ventes de voitures thermiques au sein de l’UE). L’enjeu est de rattraper leur retard sur Tesla et de contrer l’arrivée prévisible de concurrents chinois moins chers. Le constructeur dirigé par Elon Musk écrit indéniablement une nouvelle page de l’histoire de l’automobile et les investisseurs en redemandent sans cesse, portant la valorisation boursière de Tesla, cotée au Nasdaq, à des niveaux spectaculaires avec un Price earning ratio (PER) estimé pour 2023 à 85 quand le même ratio ne dépasse pas 5 pour Stellantis, Renault et Volkswagen (2). Depuis le début de l’année, l’action Tesla a rebondi de 108 % après la décrue de 2022 !

En Europe, les ventes de véhicules électriques ont dépassé en juin les immatriculations de véhicules diesel

La course à la voiture électrique est donc lancée sur le Vieux Continent. En juin 2023, il s’est vendu pour la première fois en un mois plus de véhicules électriques que de véhicules diesel au sein de l’Union européenne (3). La part de marché de ces véhicules atteignait 15,1 %, fin juin, contre 10,7 % un an plus tôt. Au niveau mondial, les ventes de voitures électriques, dont 60 % sont fabriquées en Chine, pourraient également augmenter de 35 % en 2023 et représenter près d’un cinquième du marché automobile global (4).

Sur le marché européen, c’est le groupe Volkswagen (VW, Audi, Skoda, etc.) qui demeure le plus gros vendeur d’automobiles, toutes catégories confondues, avec 26 % de parts de marché, suivi par Stellantis (Peugeot, Citroën, Fiat, Chrysler, Alfa Romeo, Jeep, Opel, etc.) à 18,8 % et Renault (Renault, Alpine, Dacia, etc.) avec 11,1 % de parts de marché.

Mais sur le segment de la voiture électrique, la marque Tesla restait le leader en Europe, avec un véhicule électrique sur cinq immatriculé par le constructeur californien. En 2022, la Tesla Model Y a été le véhicule électrique le plus vendu sur le continent (5), suivi de la Tesla Model 3. Les constructeurs européens n’ont cependant pas dit leur dernier mot et six des dix modèles les plus vendus sont européens : Volkswagen ID.4 à la troisième place, suivi de la nouvelle Fiat 500 électrique. La Dacia Spring se hisse à la 7e place et la Peugeot e-208 à la 8e alors que la Renault Zoe recule à la 12e place. À noter qu’aucun constructeur chinois n’apparaît dans le Top-10.

Pour garder son avance et ses parts de marché, Tesla a fait le choix d’engager une guerre des prix sans merci. Un pari assumé par Elon Musk qui n’a pas provoqué pour le moment de défiance de la part des investisseurs. Si le constructeur californien a vu son dernier chiffre d’affaires trimestriel bondir de 47 % en un an, à 24,9 milliards de dollars, cette stratégie érode logiquement les marges de l’entreprise, dont la marge opérationnelle ne ressort plus qu’à 9,6 %, loin des 14,4 % de Stellantis mais encore supérieure à celle de Renault (7,6 %) et de Volkswagen (7,3 %).

Pas de production de véhicules électriques en Europe sans « gigafactories » de batteries

Prendre des parts de marché, fabriquer en Europe et vendre les modèles de demain tout en préservant leurs marges… La mutation vers l’électrique oblige les constructeurs européens à résoudre une équation complexe. Face à des pouvoirs publics soucieux de réindustrialiser le Vieux Continent, comment produire des véhicules électriques abordables pour des ménages frappés de plein fouet par l’inflation alors que dans le même temps, les constructeurs chinois disposeraient, selon Carlos Tavarès, le PDG de Stellantis, de coûts plus compétitifs de l’ordre de 25 % quand leurs modèles arrivent sur le sol français ?

La réponse passe notamment par la localisation d’usines géantes (« gigafactories ») destinées à produire les batteries équipant les véhicules électriques sur le territoire européen. Fin mai, Stellantis a annoncé la construction de sa première gigafactory à Douvrin (Hauts-de-France). L’usine fabriquera des batteries Lithium-Ion haute performance. Il s’agit de la première des trois usines géantes prévues en Europe et gérées par la coentreprise Automotive Cells Company (ACC) créée en 2020 par Stellantis, TotalEnergies et Mercedes-Benz. Fin juillet, Stellantis a également annoncé le projet de construction d’une nouvelle gigafactory aux États-Unis avec le fabricant de batteries Samsung SDI (filiale de Samsung Electronics), sa deuxième outre-Atlantique. Au Canada, une usine de batteries associant le coréen LG devrait également voir le jour l’an prochain. Au total, le constructeur a prévu d’injecter 35 milliards de dollars dans la production de véhicules électriques d’ici à 2025. Si le patron de Stellantis a confirmé fin juillet que la nouvelle Peugeot e-208 ne serait pas fabriquée en France, le groupe franco-italien va produire en revanche 12 modèles électriques dans l’Hexagone.

En attendant, Stellantis a publié un bénéfice net record de 10,9 milliards d’euros au premier semestre 2023 (+37 % sur un an). Une publication marquée par la hausse de 12 % du chiffre d’affaires à 98,4 milliards d’euros et par l’augmentation de 24 % des ventes de voitures hybrides et électriques. Le constructeur prévoit notamment de lancer une Citroën électrique à moins de 25 000 euros en début d’année prochaine.

Pour le concurrent Renault, dont les problèmes de gouvernance ont accentué la descente aux enfers à partir de 2019, l’année 2023 marque également une forme de renaissance avec à la clé de solides résultats au premier semestre. Chiffre d’affaires en hausse de 27,3 % à 26,85 milliards d’euros et un résultat net part du groupe redevenu positif (2,09 milliards après une perte de 1,37 milliard au S1 2022). Les voitures électriques du groupe français représentent désormais 37 % des véhicules vendus par le losange en Europe et ce dernier entend fabriquer l’ensemble de ses modèles électriques dans l’Hexagone.

Renault dispose d’un partenariat avec le groupe chinois Envision AESC pour sa future usine de batteries de Douai (pôle Renault ElectriCity) qui devrait être opérationnelle en 2024. La marque au losange est également associée à la startup grenobloise Verkor pour la construction d’une usine de batteries à Dunkerque. Le groupe a par ailleurs prévu d’introduire en Bourse sa filiale dédiée à l’électrique et aux logiciels, baptisée Ampere, au premier semestre de l’an prochain. Cette entité va recevoir de l’argent frais des trois constructeurs de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, dont 600 millions d’euros en provenance de Nissan. Le constructeur japonais a été le précurseur de la voiture 100 % électrique pour les particuliers avec le lancement de la Leaf en 2009, trois ans avant la Zoe de Renault.

Julien Gautier
Responsable éditorial – Agence Fargo, 28 juillet 2023

1, 2. Cotations Boursorama arrêtées au 28 juillet 2023
3. Chiffres de l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), juillet 2023
4. Rapport « Global Electric Vehicle Outlook » de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), avril 2023
5. Chiffres du comparateur JATO Dynamics