L’ANALYSE
Le secteur le plus déprimant, vraiment?
Hors technologie, le secteur le plus prolifique de l’année 2024 n’est ni le luxe, ni la banque, ni les matières premières. Non… C’est celui des services collectifs, que les anglo-saxons appellent « utilities ». Oui, vous avez bien lu ! Celui qui, dans les cercles financiers, a la réputation d’être à peu près aussi trépidant que de regarder de la peinture sécher. Pour être plus précis, ce sont les producteurs d’électricité qui ont le vent en poupe, en particulier aux États-Unis. La valeur de Vistra, sorte d’EDF texan, a ainsi été multipliée par 2,5 depuis le début de l’année. C’est mieux que Nvidia, par exemple.
Cette tendance n’est pas fortuite. Après s’être intéressés aux acteurs évidents de l’IA comme Nvidia, les investisseurs se sont tournés vers d’autres bénéficiaires potentiels du boom technologique. Les fabricants de machines de production de puces, les distributeurs, les monteurs, etc. À force de creuser, ils sont arrivés jusqu’aux producteurs d’électricité. Les analystes, en évaluant les besoins énergétiques croissants des applications d’IA, ont anticipé un déséquilibre entre l’offre et la demande d’énergie pour les centres de données en expansion. Les producteurs d’énergie sont donc devenus aussi cruciaux que les fabricants de semi-conducteurs. En effet, une récente étude de Citigroup mentionnée par le Wall Street Journal prédit que les centres de données pourraient représenter jusqu’à 11 % de la consommation électrique aux États-Unis d’ici 2030, soit plus du double d’aujourd’hui.
Cela soulève plusieurs problèmes. Le premier est le risque d’une concurrence accrue pour l’électricité entre entreprises et particuliers, pouvant entraîner une hausse des prix pour tous. Les géants technologiques, déterminés à éviter que des contraintes énergétiques n’entravent le progrès de l’IA, pourraient être disposés à payer plus cher pour sécuriser leur approvisionnement.
Le second problème concerne le financement du renforcement des infrastructures énergétiques. Les sociétés du secteur, moins nanties que les mastodontes technologiques, font face à des investissements colossaux et de longue haleine pour développer la production énergétique. Mais il est possible que des entreprises comme Microsoft ou Google mettent à profit leurs réserves financières abondantes pour soutenir de tels projets, qui sait ?
Malgré ces incertitudes, les producteurs d’énergie ont des raisons d’être optimistes : une demande excédant l’offre est toujours profitable. C’est sans doute ce que les financiers ont perçu depuis quelques mois, en ramenant les entreprises du secteur sur le devant de la scène.
Un troisième problème se pose, d’ordre sociétal cette fois : le gaspillage énergétique associé à l’IA générative, similaire à celui du minage de cryptomonnaies, résulte de machines fonctionnant parfois inutilement, soit parce qu’elles échouent dans la compétition du minage, soit parce que les contenus générés ne trouvent pas d’usage. Mais à ce stade, le monde financier s’en préoccupe peu. Ou plutôt, il s’en préoccupe via les acteurs qui sont capables d’optimiser les consommations : il n’y a qu’à voir le parcours d’un Schneider Electric pour s’en persuader.
Patrick Rejaunier
© 2024 zonebourse.com, 22 mai 2024