EN PRIVÉ

Les plans de relance vont-ils accélérer l’investissement durable ?

Les chiffres donnent le tournis : 100 milliards d’euros pour le plan de relance français, 750 milliards pour celui de l’Union européenne, près de 2 000 milliards de dollars pour la relance de Biden. Une part significative de ces montants doit être orientée vers des activités vertes ou durables. Alors, est-ce un verdissement de façade ou une lame de fond dont les effets devraient se faire sentir jusqu’aux investisseurs particuliers ?

Environnement, durabilité et impact au cœur de la relance française

En septembre 2020, le gouvernement français dévoilait l’ampleur de son plan de relance pour lutter contre les effets de la crise sanitaire : 100 milliards d’euros, soit 4 % du PIB du pays, dont 30 milliards consacrés à la transition écologique. Des secteurs prioritaires sont déjà définis. La construction, avec la rénovation thermique des bâtiments ; l’industrie, qui doit accélérer sa décarbonation ; l’automobile, qui poursuit sa mue en faveur des véhicules propres ; ou encore l’agriculture, qui doit prendre un virage durable.

Ce plan va se traduire par un afflux d’investissements en faveur des entreprises de ces secteurs. Rien qu’en 2020, 7 300 sociétés françaises ont déposé un dossier afin de bénéficier d’un accompagnement dans leur numérisation industrielle ou la robotisation de leur équipement. La décarbonation de l’industrie française devrait bénéficier d’un investissement global de 1,2 milliard d’euros entre 2020 et 2022, sur lesquels 220 millions d’euros étaient déjà déclenchés au début du mois d’avril. Le ministère de l’Économie, sur le site de France Relance, affiche ainsi en direct les montants des investissements réalisés dans le cadre de la relance et donne à voir ses avancées concrètes.

L’objectif de la France, avec ce plan ambitieux, est de devenir la première grande économie européenne à atteindre la neutralité carbone. Le gouvernement entend tirer les fruits de cette orientation volontariste dès 2030 en faisant de la France un marché plus écologique, résilient et donc attractif et compétitif. Toutefois, les investissements publics seuls ne suffiront pas et ce sont bien les flux financiers dans leur ensemble qu’il faut rediriger vers les secteurs et acteurs durables.

Promouvoir un investissement durable

Comment aider les institutionnels et les particuliers à investir, eux aussi, en faveur d’une économie française durable ? Tout simplement en leur permettant de mieux identifier les supports d’investissement adéquats.

Le 22 mars dernier, Euronext a ainsi lancé le CAC 40 ESG. Cet indice boursier rassemble les grandes entreprises qui ont les meilleures pratiques en matière d’ESG, c’est-à-dire de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. À cette occasion, le patron d’Euronext, Stéphane Boujnah, a ainsi déclaré que « le lancement de l’indice CAC 40 ESG constitue une étape importante dans l’accélération de la transition vers une économie durable. »

Concrètement, la version ESG diffère de l’indice français phare sur plusieurs valeurs. Neuf entreprises ont été exclues, notamment sur des critères environnementaux. Ont par exemple été sorties Total, Airbus ou encore Arcelor-Mittal. Ce départ profite à 9 entreprises du SBF 120, sélectionnées pour leurs efforts en matière d’ESG, comme par exemple EDF, Sodexo ou Klépierre.

Un indice dont la création coïncide avec une accélération des investissements en faveur des produits ESG. La France arrive ainsi en tête en termes de placements sur des fonds monétaires ESG. Selon Fitch Ratings, 79 % des 123 milliards d’euros d’encours placés sur des fonds monétaires ESG se trouvent sur des produits français.

À noter également que l’engouement pour les produits ESG dépasse nos frontières et qu’il est loin de se cantonner aux fonds monétaires. Un tiers du total des actifs américains sous gestion était placé sur des produits ESG il y a de cela un an déjà, selon la US SIF Foundation.

L’Union européenne, poids lourd de la relance durable

Le 21 juillet 2020, les 27 ont adopté un plan de relance européen. Pas moins de 750 milliards d’euros vont ainsi être consacrés aux conséquences de la crise, au travers du plan « Next Generation EU ». Un budget voté en même temps que le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 de l’UE pour un montant de 1 100 milliards d’euros. Il est décidé de consacrer 37 % du total de la relance et du CFP à la poursuite d’objectifs climatiques, donc au financement d’activités durables et liées à la transition. L’une des grandes nouveautés est que l’Europe va désormais emprunter sur les marchés pour financer ce programme.

La relance européenne s’inscrit dans le cadre plus large du Pacte Vert européen lancé en 2019. Là encore, les objectifs sont ambitieux : réduire d’au moins 55 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et atteindre la neutralité carbone en 2050. Concrètement, cela passe justement par une réorientation des financements, notamment vers les infrastructures durables, et l’instauration d’un cadre permettant l’essor de la finance durable. Plus de transparence, plus de normes, une classification claire des activités vertes au travers de la taxonomie, de quoi faciliter les décisions des investisseurs. Car, comme en France, les fonds publics ne suffiront pas à assurer la transition de l’économie et les investissements privés sont nécessaires. La législation européenne se met ainsi en ordre de marche pour favoriser la finance verte et durable, à l’échelle de l’Union, des États, des institutionnels et des particuliers.

Ce n’est donc pas un hasard si l’UE se démarque au sein du G20 par la compatibilité de son plan de relance avec des objectifs environnementaux. En octobre dernier, le G20, plus l’Espagne, comptabilisait pour 12 000 milliards de dollars de plans de relance, dont 3 700 étaient compatibles avec l’environnement, notamment au travers d’investissements dans le secteur de l’énergie. Le premier contributeur à ces 3 700 milliards est l’Union européenne, de très loin.

Le coup d’accélérateur américain

Avec l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, les États-Unis renouent avec une politique climatique durable. Au programme notamment, un objectif d’électricité zéro carbone d’ici 2035 et une révision de l’engagement du pays en faveur des réductions des émissions de gaz à effet de serre. De quoi soutenir les investissements en direction des secteurs de l’énergie et de la décarbonation de l’industrie.

Biden a aussi son plan de relance, un plan massif, puisqu’il s’élève à près de 2 000 milliards de dollars. Comme en Europe, celui-ci devrait profiter au secteur des énergies renouvelables et de la voiture électrique. Ce plan apporte aussi un soutien financier aux Américains et pourrait avoir un impact détourné sur les marchés actions. En effet, selon une enquête menée par Bank of America, si 36 % des sondés envisagent de dépenser le chèque envoyé par le gouvernement, 9 % d’entre eux songeraient à l’investir. Dans la ligne de mire des investisseurs américains, les marchés actions, mais aussi le bitcoin. Des intentions pas très durables donc. Tout comme l’Europe le fait aujourd’hui, les États-Unis gagneraient peut-être à mieux flécher l’investissement durable, afin d’y diriger les flux des investisseurs. Car malgré l’ampleur des plans de relance mondiaux, l’investissement privé est bel et bien indispensable pour accompagner la transition des économies vers un modèle plus durable.

Ingrid Labuzan
Option Finance, 19 avril 2021