EN PRIVÉ

L’IA : nouveau terrain de conquête de l’industrie des semi-conducteurs

Les fabricants de puces ont trouvé avec l’intelligence artificielle (IA) un relais de croissance bienvenu pour attirer les investisseurs. Une aubaine pour ce secteur stratégique touché par le ralentissement de la demande mondiale en semi-conducteurs et par les tensions géopolitiques entre les États-Unis, l’Europe et la Chine.

Elles se nichent dans les smartphones, les voitures, les avions, les ordinateurs ou les appareils électroménagers… Ces puces électroniques sont les indispensables composants de notre monde numérique. Si le ralentissement de la croissance mondiale pèse actuellement sur ce secteur cyclique (les ventes de smartphones et d’ordinateurs se tassent), l’engouement des investisseurs autour de l’intelligence artificielle (IA) impacte directement les fabricants de semi-conducteurs. Mi-janvier, TSMC (Taïwan Semiconductor Manufacturing Company) a ainsi annoncé anticiper une hausse de plus de 20 % de son chiffre d’affaires cette année grâce à la demande en composants pour l’IA. Dans la foulée, les valeurs du secteur se sont envolées et l’indice Philadelphia Semiconductor (SOX), qui rassemble les 30 principales entreprises américaines dédiées aux semi-conducteurs, a battu un nouveau record. Au 9 février, il gagne plus de 46,5 % en un an et plus de 249 % en cinq ans*.

Le marché mondial des semi-conducteurs pèse aujourd’hui environ 600 Mds$ et pourrait dépasser 1 000 Mds$ d’ici 2030, selon Pat Gelsinger, le PDG d’Intel. Or, la concurrence fait rage entre les fabricants de puces. La croissance du secteur se concentre désormais sur des composants dont la finesse de gravure ne dépasse pas cinq nanomètres (5 milliardièmes de mètres !). Alors que les principaux fabricants de puces dévoilent les uns après les autres leurs résultats 2023, les investisseurs semblent désormais appréhender les différents acteurs du secteur à l’aune de leur positionnement dans l’IA (puces haut-de-gamme), qu’ils soient fabricants pour leur propre compte (Intel, Samsung Electronics, Texas Instruments, STMicroelectronics, etc.) ou pour le compte de tiers (TSMC).

Nvidia : la success-story qui a enflammé Wall Street en 2023

Leader mondial de cette industrie, Intel a présenté en décembre une nouvelle gamme de puces IA-compatibles, baptisée Intel Core Ultra, et appelée à équiper tous les PC portables et de bureau. Mais Intel compte également sur ses puces Gaudi3 pour rattraper Nvidia Corporation. Il est vrai que l’entreprise basée à Santa Clara (Californie) a pris une longueur d’avance dans ce domaine. Son activité a explosé au cours des derniers mois. Au T3 2023, Nvidia a déclaré un chiffre d’affaires de 18,12 Mds$ vs. 5,93 Mds$ un an plus plutôt ! L’action cotée au Nasdaq s’envole de 221 % sur un an** et sa capitalisation dépasse désormais les 1 000 milliards de dollars ! À l’origine, Nvidia fabriquait des puces graphiques destinées aux jeux vidéo mais les GPU (unités de traitement graphique) de la firme créée en 1993 se sont vite révélées indispensables pour faire tourner les modèles d’IA. La position dominante de Nvidia dans l’IA (puces H100) pourrait être toutefois bousculée par Intel mais aussi par la montée en puissance du fabricant américain AMD (Advanced Micro Devices) avec ses puces MI300X. Cotée au Nasdaq, l’action AMD bondit de 107,5 % depuis un an. De son côté, STMicroelectronics, leader européen du secteur, a lancé en décembre un écosystème complet permettant aux entreprises d’adapter leurs produits à l’intelligence artificielle grâce à la suite ST Edge AI. L’enjeu est d’accélérer le déploiement des objets connectés et autonomes embarquant de l’intelligence artificielle.

Sur le front des publications, Intel a publié des résultats annuels supérieurs aux attentes marquées par une hausse de 10 % de ses ventes au quatrième trimestre… Mais dans le même temps, le géant américain des semi-conducteurs a prévenu que le trimestre en cours serait marqué par des conditions de marchés difficiles, provoquant une chute de 7 % du titre le lendemain. L’action Intel cède 14 % depuis le début de l’année mais gagne encore 56 % sur un an. De son côté, l’Américain Texas Instruments cède 7,8 % sur un an. Le fabricant de semi-conducteurs a été sanctionné après la publication de son chiffre d’affaires 2023 en recul de 13 % et de perspectives décevantes.

Chez STMicroelectronics, la prudence est également de mise pour 2024. Le fabricant franco-italien anticipe des ventes en baisse de 15 % au premier trimestre mais se montre beaucoup plus optimiste pour le deuxième semestre 2024. L’an dernier, STM a réalisé un chiffre d’affaires en hausse de 7,2 %, soutenu par les commandes du secteur automobile, très gourmand en puces avec la montée en puissance des véhicules électriques. Mais les prises de commandes ralentissent et les stocks de composants s’accumulent même si la demande en puces électroniques devrait continuer de soutenir l’activité du groupe franco-italien, bien positionné sur ce marché stratégique, à l’instar d’Infineon Technologies. Le fabricant de semi-conducteurs allemand a annoncé, lui aussi, début février, une révision en baisse de ses objectifs annuels pour l’exercice 2023-2024. En Bourse, sur les douze derniers mois, Infineon et STMicroelectronics abandonnent respectivement 7,5 % et 5 %.

ASML interdit d’exporter ses machines vers la Chine

Dans cette industrie dominée par les géants américains et asiatiques, les européens ont ainsi quelques atouts à faire valoir. Outre les fabricants STMicroelectronics et Infineon, plusieurs entreprises dominent des marchés de niche. En France, Soitec est à la pointe de la technologie baptisée SOI (Silicium sur isolant) qui permet de doper les performances des puces. Installée près de Grenoble, l’entreprise a publié des ventes en repli de 12 % au T3 de son exercice 2023-2024 et anticipe un chiffre d’affaires annuel en baisse en raison de la faiblesse du marché du smartphone. Malgré un repli de 12 % depuis début janvier, l’action Soitec gagne encore 2,7 % en un an.

Mais la star européenne plébiscitée par ses clients (et par les investisseurs) est incontestablement ASML. L’entreprise néerlandaise détient un quasi-monopole mondial dans la conception des machines permettant de fabriquer des puces par lithographie et cet équipementier est en forme olympique ! Au cours du dernier trimestre, ses commandes ont plus que triplé, ressortant à 9 Mds€. En 2023, son chiffre d’affaires a fortement augmenté (+31 % à 27,6 Mds€), contribuant à la hausse de 29 % du titre à la Bourse d’Amsterdam depuis le début de l’année (+39,7 % sur un an). ASML, qui vend ses machines aux principaux géants du secteur (TSMC, Intel, Samsung etc.), se retrouve toutefois, bien malgré lui, au cœur des tensions commerciales et géopolitiques entre les États-Unis, l’Europe et la Chine. En début d’année, l’entreprise a été interdite d’exporter certaines machines de pointe vers la Chine. Une décision du gouvernement néerlandais souhaitant se conformer aux mesures de restrictions imposées en octobre 2023 par Washington.

La victoire récente du Parti démocrate progressiste (DPP) à Taïwan n’est pas de nature à faire baisser les tensions en Mer de Chine. Or, Taïwan concentre environ 60 % de la fabrication mondiale de puces (fonderie) avec l’emblématique société TSMC dont 2/3 du chiffre d’affaires est acheté par des clients américains. Mais Washington est décidé à reconquérir, autant que possible, sa souveraineté grâce au « Chips Act », voté en juillet 2022, consistant à subventionner l’installation d’usines de puces électroniques sur le sol américain à hauteur de 52 Mds$. L’Europe n’est pas en reste avec l’adoption d’un « European Chips Act », en février 2022, doté de 43 Mds€ avec pour objectif d’atteindre les 20 % de parts de marché des semi-conducteurs produits sur le territoire de l’UE, contre 10 % aujourd’hui. À Crolles, près de Grenoble, STMicroelectronics est ainsi associé à GlobalFoundries, deuxième fondeur mondial derrière TSMC, dans la construction d’une nouvelle « méga-usine » de semi-conducteurs qui devrait employer un millier de personnes.

Julien Gautier
Responsable éditorial, Agence Fargo, 9 février 2024

* Indice SOX : https://fr.tradingview.com/symbols/NASDAQ-SOX/
** Cours Boursorama, au 9 février 2024.