EN PRIVÉ

Luxe : l’insolent succès boursier des groupes français

La pandémie n’aura pas réussi à entamer le statut boursier en or massif des fleurons du luxe à la française (LVMH, Kering et Hermès). Avec l’acquisition mouvementée de Tiffany, LVMH réussit même à conforter sa place de leader mondial de son secteur. Un succès de plus à mettre à l’actif de l’insatiable Bernard Arnault.

Le 9 février dernier, l’action LVMH est devenue la première capitalisation boursière européenne, devant Nestlé, témoignant de la résistance à toute épreuve du groupe français, leader mondial du secteur du luxe. Pourtant, l’année écoulée n’a pas été de tout repos pour Bernard Arnault. Auréolé par l’annonce de l’acquisition du joaillier Tiffany, en novembre 2019, le patron de LVMH ne pouvait imaginer, en effet, en ce début d’année 2020, qu’une pandémie partie d’Asie allait entraîner l’interruption des flux touristiques et la fermeture temporaire de ses boutiques aux quatre coins de la planète. Une crise sanitaire et économique mondiale qui a également contribué à accentuer la discorde entre LVMH et Tiffany, remettant en question pendant de longs mois l’OPA du géant français sur la célèbre marque américaine de bijoux. Les deux parties ont fini par enterrer la hache de guerre et le rapprochement a été finalisé en début d’année.

Depuis le début des années 2000, les fleurons du luxe à la française (LVMH, Kering et Hermès) poursuivent une croissance insolente. En Bourse, ces valeurs frisent le sans-faute. Un an après la tempête boursière de février-mars 2020, que constate-t-on en effet ? L’action LVMH gagne encore 11 % depuis le début de l’année (au 19 mars (1)), 69 % sur un an, 267 % sur cinq ans ! Kering, le groupe challenger dirigé par François-Henri Pinault, fait quasiment du surplace en 2021 (+2 %) mais gagne tout de même 35 % en un an et fait mieux sur cinq ans que le groupe de Bernard Arnault : +312 % ! Enfin, Hermès, le sellier indépendant contrôlé par la famille Dumas, continue d’être courtisé par les investisseurs : +11 % depuis le début de l’année (la barre symbolique des 1 000 euros a été dépassée momentanément le 19 février), +64 % depuis mars 2020 et +203 % en cinq ans ! À noter que LVMH se négocie plus cher que son rival Kering avec un PER (2) 2021 de 37 pour le premier et de 27 pour le second.
Quant au titre Hermès, il se paie 57 fois ses bénéfices estimés pour l’année. Les valeurs de luxe sont à l’image des produits vendus par ces entreprises : chères !

La croissance des pays émergents, l’émergence spectaculaire d’une classe moyenne avide de consommation et de signes extérieurs de richesse expliquent le succès international de ces sociétés aux marques iconiques et aux marges enviables, ambassadrices d’un certain art de vivre à la française. Des groupes qui ont les moyens d’imposer des prix élevés à leur clientèle mondialisée. Après les difficultés de l’an passé, le secteur est reparti à l’offensive. Les progrès de la campagne de vaccination laissent entrevoir la fin de la pandémie et le rebond de la consommation partout dans le monde. En outre, on notera l’effet bénéfique du changement d’administration aux États-Unis avec l’abandon des surtaxes de 25 % qui étaient imposées depuis octobre 2019 pour les exportations de vins et spiritueux outre-Atlantique. Un bon point pour LVMH et son pôle Vins & Spiritueux.

Chez Kering, la marque centenaire Gucci doit retrouver de l’élan

En 2020, le chiffre d’affaires de LVMH a reculé de 17 % à 44,6 milliards d’euros quand celui de Kering a baissé dans des proportions équivalentes : -17,5 % à 13,1 milliards d’euros. Chez LVMH, la branche Distribution sélective (-31 %) a été davantage impactée par la pandémie que la Mode & Maroquinerie (-5 %) qui a fait preuve d’une résistance étonnante. Chez Kering, c’est la marque Gucci, naguère véritable machine à cash du groupe, qui traverse une période difficile. En 2021, la direction du groupe dirigé par François-Henri Pinault s’est donc fixé un objectif clair : relancer Gucci pour l’année de son centenaire. Enfin, Hermès a fait de la résistance en limitant le recul de ses ventes annuelles à 7 % (à 6,39 milliards d’euros), confirmant une fois de plus la solidité du sellier indépendant de la rue du Faubourg-Saint-Honoré.

En finalisant l’acquisition de Tiffany pour 14,7 milliards d’euros, au terme d’une bataille juridique de plusieurs mois sur fond de tensions franco-américaines, LVMH a donc conforté sa place de numéro un mondial du luxe grâce à la prise de contrôle de la célèbre marque américaine de bijoux. Cette opération marque aussi le triomphe incontestable de Bernard Arnault. L’homme d’affaires est à la tête d’un véritable empire présent dans la maroquinerie, l’horlogerie, les Vins & Spiritueux, les cosmétiques, la distribution sélective ou la joaillerie, etc. De Louis Vuitton à Château Yquem en passant par Céline, Fendi ou Séphora, LVMH rassemble ainsi des dizaines de marques iconiques qui ont fait, au fil des ans, le succès du groupe français et de son fondateur.

Bernard Arnault a joué son destin à la fin des années 1980 en s’invitant au capital de LVMH

Rien ne prédestinait pourtant celui qui avait commencé sa carrière dans la promotion immobilière en rejoignant l’entreprise familiale Férinel à devenir l’empereur de l’industrie mondiale du luxe. Avec l’assentiment de l’État, Bernard Arnault reprend, au milieu des années 1980, le groupe textile Boussac en difficulté financière. Mais une « pépite » se niche en son sein : les Parfums Christian Dior. À partir de Dior et avec l’aide du brasseur Guinness, l’homme d’affaires réussit à devenir le premier actionnaire de LVMH, groupe nouvellement créé en 1987 après la fusion du maroquinier Louis Vuitton, de la marque de spiritueux Moët & Chandon qui possède les parfums Dior et des cognacs Hennessy. Arnault a profité du krach d’octobre 1987 pour acquérir au meilleur prix des actions sur le marché. Or, les deux fondateurs de LVMH, Henry Racamier et Alain Chevalier, ne s’entendent pas. Ils seront tous les deux évincés sans états d’âme par le jeune loup pressé.

Devenu patron de LVMH en 1989, Bernard Arnault ne cessera d’étendre année après année le périmètre du groupe de l’avenue Montaigne. Le développement économique spectaculaire de la Chine offrira à ses marques un gisement de consommateurs sans équivalent dans les pays développés. Avec Tiffany, LVMH se renforce tout à la fois aux États-Unis et dans un métier, le bijou, où la première place lui échappait encore, au profit du suisse Richemont (Cartier, Van Cleef & Arpels). Le groupe français pourra sans doute réitérer les recettes qui lui ont déjà permis d’intégrer avec succès Bulgari, le numéro trois mondial de la joaillerie, acquis en 2011.

Bernard Arnault aura pourtant aussi rencontré l’échec. Le plus mémorable reste Gucci. La marque italienne lui échappe en 1999, à l’issue d’une bataille boursière homérique, au profit de son rival François Pinault. Fort de sa victoire sur Bernard Arnault, François Pinault se retrouve alors conforté, au tournant du millénaire, dans son choix stratégique de construire « son » groupe de luxe. Son fils, François-Henri poursuivra la mutation du groupe familial de distribution PPR en se désengageant progressivement de la distribution jugée moins rentable (Printemps, Conforama, La Redoute, etc.). Rebaptisé Kering en 2013, le numéro deux mondial du luxe compte plusieurs marques de renom dans son escarcelle, d’Yves Saint Laurent à Gucci en passant par Balenciaga ou Bottega Veneta, etc.

Enfin, le patron de LVMH se sera cassé les dents sur Hermès. Le groupe familial français aura préservé son indépendance contre vents et marées face aux deux mastodontes du secteur. En 2010 et 2014, Bernard Arnault avait bien tenté, en vain, de prendre le contrôle capitalistique du sellier avant de signer un accord avec les propriétaires d’Hermès et de réaliser par la même occasion une belle plus-value. Au final, ces échecs n’auront pas freiné la croissance boursière de LVMH, ni celle de ses concurrents. Mais ils auront confirmé l’appétit insatiable de Bernard Arnault pour asseoir sa domination sans partage sur un secteur qui n’a pas fini de susciter les convoitises des investisseurs du monde entier.

Julien Gautier
Consultant éditorial, Agence Fargo

1. Chiffres Boursorama.
2. Price Earning Ratio en anglais, c’est un ratio boursier correspondant au rapport entre la valeur en Bourse d’une entreprise et ses profits.

LES DONNÉES RELATIVES AUX PERFORMANCES PASSÉES ONT TRAIT À DES PÉRIODES PASSÉES ET NE SONT PAS UN INDICATEUR FIABLE DES RÉSULTATS FUTURS. CECI EST VALABLE ÉGALEMENT POUR CE QUI EST DES DONNÉES HISTORIQUES DE MARCHÉ.