L’ANALYSE

On ne prête qu’aux riches

Je suis presque sûr d’avoir écrit par le passé dans ces colonnes au sujet de l’impact grandissant de certains dossiers sur le parcours des indices. Les cinq premiers mois de 2023 me forcent à remettre l’ouvrage sur le métier, puisque les poids-lourds de la cote ont encore frappé. En deux temps cette fois, et pour de nouvelles raisons. Voyons voir de quoi il retourne.

Pour le premier temps, j’emprunte une statistique à Manish Kabra, qui est le stratège de la Société Générale CIB pour les États-Unis. Dans un papier récent, il soulignait que les ETF liés à l’intelligence artificielle ont vu leurs encours bondir de 37 % entre le début du mois de décembre 2022 et la fin du mois d’avril 2023. Pourquoi avoir pris pour point de départ le dernier mois de 2022 ? Parce que cela correspond au moment où la folie ChatGPT s’est emparée des sphères économiques. En d’autres termes, les investisseurs se sont rués sur cette nouvelle source de profits potentielle.

J’en viens au second temps. Cet engouement est à l’origine d’une grosse partie de la progression des indices américains en 2023. Pourquoi ? Parce que les investisseurs ont concentré leurs positions sur les acteurs qui semblaient le plus à même de bénéficier de cette innovation. En d’autres termes, les Apple, Microsoft, Alphabet, Amazon, Meta et autres Nvidia. Parce que ce sont des plateformes oligopolistiques, des fournisseurs de capacités ou de puissance de calcul. Plusieurs bureaux d’études ont déterminé de façon convergente que l’apport de ces titres représente la totalité des gains de l’indice S&P 500 cette année. Sans eux, l’indice large américain aurait végété. La surperformance du Nasdaq est puisée à la même source. Depuis peu, les six valeurs précitées pèsent 50,5 % de l’indice technologique américain. C’est colossal, et probablement excessif. Il faut dire qu’aucune n’a progressé de moins de 30 % en 2023, et que Nvidia et Meta… ont doublé en cinq mois !

Pour le dire autrement, les gagnants d’hier sont les gagnants d’aujourd’hui et ont de bonnes chances d’être aussi ceux de demain. Ces entreprises sont valorisées à la hauteur des attentes des investisseurs : leur PER moyen est supérieur à 30 fois les résultats attendus cette année, soit presque le double de la moyenne du S&P (environ 17 fois). Mais contrairement aux valeurs en devenir qui affichent des multiples très élevés, elles ont déjà prouvé leurs capacités et sont en général des machines à cash.

Histoire de flatter un peu notre européanité, je précise que nous avons, nous aussi, nos six valeurs talisman. Elles officient dans l’univers du luxe et s’appellent LVMH, L’Oréal, Hermès, Richemont, Kering et Ferrari. Et si elles n’ont pas vraiment de rapport avec l’intelligence artificielle, elles partagent avec les stars américaines des ratios de valorisation haut de gamme : 33 fois les résultats en moyenne, contre 14 fois au Stoxx Europe 600. Décidément, on ne prête qu’aux riches…

Patrick Rejaunier
© 2023 zonebourse.com, 23 mai 2023

Les données relatives aux performances passées ont trait à des périodes passées et ne sont pas un indicateur fiable des résultats futurs. ceci est valable également pour ce qui est des données historiques de marché.

PATRICK REJAUNIER

« … les gagnants d’hier sont les gagnants d’aujourd’hui et ont de bonnes chances d’être aussi ceux de demain. »

CHIFFRES CLÉS

12,3 Mds€

C’est l’investissement mondial en capital-risque dans les startups d’énergie propre l’année dernière, par rapport à 1,9 milliard en 2019, stimulé par l’investissement dans la technologie des batteries et de nouveaux programmes de subventions gouvernementales aux États-Unis et en Europe.
Source : Reuters

7,81 %

C’est le taux de chômage en France calculé sur le dernier trimestre de 2022. Un record à la baisse depuis 1982. (Hors crise covid).
Source : Les Échos

29,90 €

C’est le prix du mégawattheure de gaz naturel en Europe sur le contrat à terme du TTF néerlandais. Un record depuis deux ans, dû à la chute de la demande et à la baisse des importations russes.
Source : Le Monde