EN PRIVÉ

Transport aérien : gérer la reprise du trafic et les turbulences

La nouvelle est tombée lundi 25 mars. Dave Calhoun, le patron de Boeing, est remercié et quittera l’entreprise à la fin de l’année. Un remaniement qui touche aussi le directeur de la division aviation commerciale. Quant au président du conseil d’administration (Larry Kellner), il ne briguera pas de nouveau mandat lors de la prochaine assemblée générale des actionnaires. Ces derniers ont de quoi manifester leur mauvaise humeur. L’action Boeing chute de 34 % depuis le début de l’année (1) (-31 % sur trois ans). Il faut dire que l’avionneur américain traverse une véritable annus horribilis, à mesure que les incidents à bord des appareils se multiplient. Début janvier, une porte d’un 737 MAX 9 de la compagnie Alaska Airlines s’est détachée en plein vol. Boeing risque gros. L’accord de « plaider-coupable » qui était intervenu en 2021, suite aux accidents d’octobre 2018 et de mars 2019 ayant causé la mort de 346 personnes, pourrait être ainsi remis en cause. L’avionneur avait alors payé 2,5 milliards de dollars pour mettre fin aux poursuites judiciaires. Début avril, ce sont désormais trois des principaux modèles d’avions de Boeing (737, 787 Dreamliner, 777) qui faisaient l’objet d’une enquête de la FAA (2) , l’autorité américaine de régulation de l’aviation civile.

Plus globalement, c’est toute la crédibilité de Boeing qui est en question et qui fait les affaires de son grand rival européen. L’action Airbus s’envole de 16,5 % depuis début janvier et de 63 % en trois ans. Sur le plan commercial, l’avionneur européen vient de frapper fort en remportant deux contrats importants auprès de clients asiatiques, une cible précieuse pour les deux compagnies. Airbus va ainsi fournir 11 avions A321neo et 21 gros-porteurs A350-900 à Japan Airlines (JAL) ainsi que 33 A350 à Korean Air.

Airbus : un carnet de commandes record en 2023

En 2023, le bénéfice net d’Airbus a reculé de 11 % à 3,8 milliards d’euros pour un chiffre d’affaires en hausse de 11 % à 65,4 milliards d’euros (la division Avions commerciaux réalise près de 75 % des revenus du groupe). Surtout, Airbus a battu un nouveau record l’an dernier avec 2 094 commandes nettes (vs. 1 576 pour Boeing). Son carnet de commandes culminait ainsi à près de 8 600 appareils fin 2023 quand celui de Boeing ne comptait « que » 5 600 avions en fin d’année. Enfin, le constructeur européen a également livré 735 avions commerciaux en 2023 quand son concurrent américain n’en livrait que 528 sur la même période. Autant dire que les usines des deux constructeurs disposent d’une excellente visibilité au cours des prochaines années, surtout celles battant pavillon Airbus.

Un engouement qui complique néanmoins les affaires des compagnies aériennes confrontées aux retards de livraison qui s’accumulent. Or, Boeing est contrainte par les exigences de la FAA qui lui a interdit d’augmenter la cadence de production de ses 737 MAX afin de « garantir la responsabilité (de Boeing) et le respect total des procédures de contrôle de la qualité ». Une difficulté de plus pour des constructeurs en tension alors que le trafic aérien est reparti en fanfare l’an dernier.

En 2023, le trafic passagers a atteint 94,1 % du trafic enregistré en 2019, l’année précédant le déclenchement de la pandémie de Covid-19. Il devrait dépasser en 2024 le record de l’année pré-Covid avec plus de 4,7 milliards de passagers attendus, contre 4,5 milliards recensés en 2019, selon les prévisions de l’Association du transport aérien international (IATA). Seul le segment des voyages d’affaires reste à la traîne et n’a pas retrouvé le niveau de 2019. Il est vrai que les progrès de la visioconférence et la volonté de nombreuses entreprises de réduire leur bilan carbone se joignent pour réduire la fréquence de ces déplacements coûteux et écologiquement peu vertueux.

Pour les compagnies aériennes, la suppression progressive des quotas gratuits d’émission de carbone (-25 % en 2024, -50 % en 2025) en vue de leur disparition progressive en 2026 vient ajouter une autre difficulté. Il est vrai que le transport aérien est pointé du doigt pour son bilan carbone. 16 % du C02 serait émis lors de la production et de la distribution de kérosène (3) . Or, l’Union européenne a fixé des règles contraignantes aux compagnies, concernant notamment l’obligation d’utiliser un pourcentage croissant de carburant vert, au moins 70 % d’ici 2050. Mais cette réglementation suscite les critiques des dirigeants des compagnies qui estiment ne pas combattre à armes égales face à leurs concurrents extra-européens. En outre, ils se pensent pénalisés par le morcellement de l’espace aérien européen et par le manque d’ambition du projet de « ciel unique européen », annoncé le 6 mars, fruit d’un compromis bancal entre le Parlement et le Conseil européen.

Compagnies aériennes : la consolidation se poursuit en Europe

Dans ce contexte, les bons résultats 2023 des compagnies aériennes européennes ont été accueillis avec prudence par les investisseurs. Certes, Air France-KLM a réalisé un millésime record l’an dernier avec un chiffre d’affaires en hausse de 14 % à 30,0 milliards d’euros et un résultat net culminant à 934 millions d’euros. Surfant sur la reprise du trafic passagers, la compagnie franco-néerlandaise a retrouvé des fonds propres positifs (500 millions d’euros) pour la première fois depuis 2019. Mais l’activité au quatrième trimestre a été décevante. En Bourse, l’action Air France-KLM ne décolle pas et chute de 30,6 % depuis le début de l’année (-65 % sur trois ans).

La hausse des coûts de l’énergie et la concurrence exacerbée au niveau mondial poussent ainsi les compagnies européennes à poursuivre leur mouvement de consolidation. Ainsi, Air France-KLM va prendre 19,9 % du capital de la compagnie scandinave SAS. De son côté, Lufthansa a mis la main sur la compagnie italienne ITA Airways en mai 2023. Un accord a été officialisé l’an dernier avec le gouvernement italien pour permettre à la compagnie allemande de prendre une participation de 40 % dans ITA Airways. Une acquisition du capital restant pourrait intervenir avant 2026 alors que la situation financière de la compagnie italienne reste précaire. En Bourse, l’action Lufthansa recule de 14,5 % depuis le début de l’année (-11,7 % sur trois ans). International Airlines Group (IAG), la holding née du rapprochement entre British Airways et Iberia en 2010, poursuit également ses emplettes. Après Vueling en 2012 et Aer Lingus en 2015, c’est au tour d’Air Europa de tomber dans l’escarcelle d’IAG en février 2023. Cotée à Madrid, l’action IAG gagne 6,9 % depuis le début de l’année (-20,3 % sur trois ans). L’an dernier, le groupe a publié un chiffre d’affaires en hausse de 28 % à 29,5 milliards d’euros et un bénéfice de 2,7 milliards d’euros, multiplié par six.

Du côté des compagnies à bas coût, Ryanair a annoncé en novembre 2023 qu’elle verserait son premier dividende cette année, anticipant une hausse de 9 % de son trafic en 2024 et un bénéfice attendu en forte progression. Le titre de la compagnie irlandaise progresse de 7,6 % depuis le début de l’année (+29 % sur trois ans). Enfin, easyJet a annoncé en novembre le premier versement de dividendes depuis la crise sanitaire après avoir limité ses pertes au cours du premier trimestre de l’exercice 2023-2024. En Bourse, l’action easyJet gagne 4,8 % en 2024 mais chute encore de 43,8 % sur trois ans. Pour la plupart d’entre elles, la convalescence boursière des compagnies européennes n’est pas encore achevée.

Julien Gautier
Responsable éditorial, Agence Fargo, 12 avril 2024

1. Chiffres Boursorama, arrêtés au 12 avril 2024.
2. Federal Aviation Administration.
3. ADEME (Agence de la transition écologique).