L’ANALYSE
Mirage chinois
En investissement, il existe une multitude de façons de classer les opportunités. Je vous en propose une en trois volets, pour faire le lien avec le sujet que je vais développer ce mois-ci.
Démarrons par la plus commune. Les financiers passent leur temps à anticiper les orientations économiques pour se positionner, en amont, sur des entreprises dont les bénéfices sont appelés à croître grâce aux circonstances. Valeurs cycliques avant une accélération du PIB, secteur des semi-conducteurs après un plancher sur les prix, sociétés de la santé avant un ralentissement… Ces positionnements tactiques permettent de battre les indices. Quand ils sont pertinents évidemment, sans quoi ces partis-pris rejoignent le vaste cimetière des fausses bonnes idées boursières.
Dans la seconde catégorie, je range les allocations fondées sur des tendances plus profondes et plus larges. Investir sur le vieillissement de la population par exemple. Ou sur la Chine. C’est précisément sur ce dernier sujet que je vais m’étendre un peu, mais seulement après avoir fait un crochet par le troisième type d’opportunités. Je veux parler des ruptures, un événement nettement plus rare. La révolution Internet au sortir des années 1990 par exemple. Ou l’intelligence artificielle depuis la fin de l’année dernière. Ce sont des thématiques au long cours mais nettement plus explosives que les tendances de fond précitées. Internet a clairement révolutionné nos vies. Pour l’IA, il va falloir encore patienter un peu pour avoir des certitudes. Pour autant, les marchés y ont déjà plongé corps et âme, selon le bon vieux principe du FOMO, la peur de rater l’opportunité. Rendez-vous dans quelques années pour savoir dans quelle case ranger l’IA. Mais revenons à la seconde catégorie. L’explosion économique chinoise est un thème de fond récurrent des investisseurs depuis une quarantaine d’années. L’ouverture du pays aux capitaux étrangers a créé un appel d’air considérable sur les décennies écoulées. Et puis… Plus grand-chose depuis. Il suffit de regarder les performances des indices Hang Seng et MSI China, qui sont en baisse sur un an, trois ans, cinq ans et même dix ans. Chaque début d’année, de nombreux gérants d’actifs misent sur le retour de l’eldorado chinois et, chaque année, ils déchantent.
Il faut dire que les nuages n’ont cessé de s’amonceler au-dessus du pays. Les moteurs initiaux de la croissance sont fatigués, la géopolitique se complique et les déséquilibres structurels, masqués jusqu’ici par la fuite en avant, éclatent au grand jour. La Chine est clairement dans une ornière et les investisseurs s’y sont encore cassé les dents. À ce stade, Pékin n’a pas l’air décidé à lancer de grands chantiers pour y remédier. Les mesures prises çà et là apparaissent un peu dérisoires face aux enjeux sociétaux auxquels la Chine est confrontée. C’est clairement un sujet majeur des mois à venir pour la planète finance. Je ne saurais dire s’il est plus fondamental que l’IA, mais il est beaucoup plus concret à court terme.
Patrick Rejaunier
© 2023 zonebourse.com, 22 août 2023