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Retour de l’inflation : quels sont les enjeux ?

Inflation, le mot est sur toutes les lèvres, des banquiers centraux aux investisseurs en passant par les consommateurs. Les marchés semblent suspendus à chaque nouvelle annonce, sans pour autant afficher de positionnement clair. Il faut dire que si les chiffres démontrent des pressions inflationnistes, les avis divergent encore. Certains s’inquiètent d’un scénario similaire à celui des années 1970, ère de l’inflation à deux chiffres, quand d’autres ne voient qu’une phase temporaire. Dans chacune des hypothèses, l’action des banques centrales sera décisive et demeure scrutée par les marchés financiers.

Événement ponctuel ou début de tendance ? Telle est la question qui se pose autour de l’inflation. Un débat justifié par les statistiques qui s’égrènent depuis le début de l’année, et que ne font que confirmer les dernières publications. La Réserve fédérale a en effet estimé, lors de sa réunion mi-juin, que l’inflation atteindrait 3,4 % aux États-Unis sur 2021. Une prévision supérieure à ce qu’elle avait annoncé trois mois auparavant, parlant à l’époque de 2,4 %. En mai dernier, les marchés avaient aussi vu d’un œil prudent l’accélération de la hausse des prix sur un an, à 5 % selon l’indice CPI du bureau des statistiques américain. Cela faisait 13 ans que le rythme de la hausse des prix n’avait pas été aussi rapide.

En Europe, les chiffres sont inférieurs mais le scénario présente certaines similitudes. Quelques jours avant la Fed, la BCE a elle aussi revue ses prévisions à la hausse pour la zone euro, évoquant une inflation de 1,9 % en 2021. Un chiffre qui dissimule des réalités très contrastées. En Allemagne, grand tenant de l’orthodoxie budgétaire, la nouvelle avait fait l’effet d’un coup de tonnerre : en mai dernier, l’inflation y a atteint 2,5 %. Du jamais vu en dix ans. La Bundesbank estime même qu’elle pourrait temporairement grimper jusqu’à 4 %. Une poussée qui épargne pour le moment l’Hexagone, la Banque de France tablant sur une inflation de 1,5 % sur l’année.

Quand la crise et ses remèdes tirent les prix

Si l’on parle tant du retour de l’inflation, c’est que le monde semble s’en être totalement déshabitué au cours de la dernière décennie. Environnement de taux bas, absence d’inflation, telles étaient les données avec lesquelles les investisseurs devaient composer. La reprise de l’inflation change donc la donne et demeure, dans cette phase post-crise qui débute, l’indicateur qui concentre toutes les attentions.

Cette résurgence n’est cependant pas une réelle surprise. La hausse des prix trouve racine dans la pandémie et les mesures déployées pour y faire face. D’une part, la crise sanitaire a entraîné une baisse de la productivité, des tensions sur les chaînes d’approvisionnement, des retards dans le transport maritime… Des éléments qui contribuent à tirer les prix vers le haut, notamment au sein de certains secteurs comme les semi-conducteurs, la construction ou les matières premières. En Allemagne, la hausse des prix atteint ainsi près de 10 % sur les carburants et les énergies domestiques, tandis que celle des biens alimentaires n’est que de 1,5 %. À ces goulets d’étranglement du côté de l’offre se conjugue maintenant un rattrapage de la consommation qui fait suite aux divers confinements.

D’autre part, les mesures budgétaires et monétaires de soutien viennent également nourrir l’inflation. Plus de 1 900 milliards de dollars ont ainsi été injectés dans l’économie américaine. Or celle-ci montre des signes de reprise vigoureuse. Mi-juin, la Fed a relevé ses prévisions de croissance à 7 % pour l’année. Des conditions propices à une remontée des prix.

Alors, durable ou non, cette hausse de l’inflation ? Chaque hypothèse a ses défenseurs et ses détracteurs. Certains économistes voient dans ce début de cycle des marqueurs rappelant les années 1970. Ils alertent sur le risque de laisser filer l’inflation, car plus elle est élevée, plus elle est difficile à juguler sans faire basculer l’économie en récession, comme ce fut le cas il y a près de cinquante ans. Des voix se font entendre, notamment en Allemagne, pour un retour à l’orthodoxie budgétaire. Wolfgang Schäuble, ancien ministre des finances allemand, a ainsi fait paraître une tribune dans le Financial Times le 3 juin dernier. Il y explique que « la paix sociale européenne requiert un retour à la discipline fiscale » et appelle à un plan de réduction des dettes en Europe. Un virage que n’a pas encore pris la Banque centrale européenne, ni son homologue outre-Atlantique.

Des indicateurs phares dans le viseur des banques centrales

À l’heure actuelle, le message relayé par la Fed et la BCE est clair : la reprise de l’inflation sera temporaire. La BCE et son conseil des gouverneurs ont estimé, lors de leur réunion mi-juin, que l’inflation en zone euro était encore « très loin de l’objectif final ». Aux États-Unis, la Fed a indiqué que l’inflation serait en grande partie due à des facteurs transitoires. Mi-juin, la secrétaire au Trésor Janet Yellen expliquait qu’elle ne prévoyait pas que l’inflation soit permanente, l’attribuant à « la réouverture d’une économie qui a été fermée, qui a connu d’énormes fluctuations dans les habitudes de dépenses et qui fait face à des goulets d’étranglement. »

Des déclarations rassurantes mais qui ne sauraient masquer le fait que l’inflation demeure au cœur des préoccupations des banquiers centraux. Et pour l’investisseur, la ligne de conduite de ces derniers a de fortes répercussions.

Ainsi, limiter les poussées inflationnistes et revenir à plus de rigueur budgétaire passerait par un relèvement des taux directeurs, donc une remontée des taux bancaires, qui freinerait le recours au crédit et l’investissement. Une décision à laquelle pourrait se préparer la Fed. La majorité de ses membres a en effet estimé, au mois de juin dernier, que l’institution devrait procéder à deux hausses de taux en 2023. Les hypothèses tablaient jusqu’ici sur une première échéance en 2024.

Autre changement à surveiller, les politiques d’achats d’actifs menées par les banques centrales. Elles ont été reconfirmées par les institutions en juin dernier, ce qui rassure les marchés quant à l’abondance de liquidités disponibles.

La position des banques centrales pourrait toutefois changer si un certain nombre d’indicateurs venaient à évoluer. Les indices de prix à la consommation en font évidemment partie. Mais il ne faudrait pas oublier un autre critère majeur : l’emploi. La Fed en a fait une boussole dans la reprise. Son objectif : ne pas remonter les taux tant que le pays n’aura pas renoué avec le plein-emploi. Le niveau des salaires est également scruté à la loupe ; l’un des phénomènes participant aux flambées inflationnistes est en effet leur hausse soutenue.

Des marchés attentifs

Sur les marchés actions, les réunions des banques centrales, ainsi que les publications de statistiques liées à l’inflation, rythment désormais les séances, entre attentisme, déceptions ou facteurs rassurants. Un environnement qui concourt à créer de la volatilité. Des prises de bénéfices ont pu être observées sur les marchés au cours du printemps, après la publication de statistiques portant sur la consommation et la production en Europe, aux États-Unis et en Chine. Les valeurs technologiques et liées à la thématique de la croissance ont été parmi les plus touchées. Ce sont en effet des secteurs assez sensibles aux hausses de taux.

Sur les marchés obligataires, là encore, toute perspective de hausse de taux pour contrecarrer les poussées inflationnistes inquiète les investisseurs. Tout comme sur les marchés actions, certains ont réagi au cours du printemps en cédant des titres.

La nervosité des marchés pourrait se poursuivre, avec une attention forte portée aux déclarations des Banques centrales. À charge, pour ces dernières, de mener leur politique sans inquiéter trop fortement les marchés et y déclencher des mouvements de ventes massives. Et de ne pas fragiliser non plus le processus de la reprise économique car derrière les performances des marchés actions se pose aussi la question de la solidité financière des entreprises.

Ingrid Labuzan,
Option Finance

LES DONNÉES RELATIVES AUX PERFORMANCES PASSÉES ONT TRAIT À DES PÉRIODES PASSÉES ET NE SONT PAS UN INDICATEUR FIABLE DES RÉSULTATS FUTURS. CECI EST VALABLE ÉGALEMENT POUR CE QUI EST DES DONNÉES HISTORIQUES DE MARCHÉ.